Antoine-Vincent Arnault

Le carrosse et la charrette

                         Fable X, Livre IV.
 
 
             « Ma sœur, vois-tu là-bas, là-bas,
Vois-tu ce tourbillon s’élever sur la route !
Comme il grossit ! vers nous comme il vient à grands pas !
Que nous annonce-t-il ? un carrosse sans doute. »
« —Oui, mon frère, et celui d’un prince assurément. »
« —Ah ! dis plutôt du roi ; car très distinctement
             Je vois d’ici ses équipages,
             Ses gardes-du-corps, ses courriers,
             Ses postillons, ses écuyers,
Ses chiens, et même aussi ses pages. »
             Pendant que le frère et la sœur,
             Enfants plus hommes qu’on ne pense,
             Jugeaient ainsi sur l’apparence,
Le poudreux tourbillon de plus en plus s’avance,
Et permet à leurs yeux d’en percer l’épaisseur.
Produit par un cortège en sa course rapide,
Que cachait-il ? C’étaient, je ne puis le nier,
             C’étaient les ânes d’un meunier,
Qui galopaient autour de sa charrette vide.
Je vous laisse à penser quel fut l’étonnement,
             J’allais presque dire la honte,
De nos pauvres petits en voyant leur mécompte.
Le père en rit d’abord ; et puis, très sensément :
« Votre erreur, leur dit-il, n’était pas si grossière.
Les grands et les petits ne diffèrent pas tant
Que vous pensez ; maint fait le prouve à chaque instant.
Rien surtout, mes amis, ne se ressemble autant
             Que les hommes dans la poussière. »

Fables, Livre IV (1812)

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