Antoine-Vincent Arnault

La main droite et la main gauche

                     Fable XVIII, Livre II.
 
 
Tandis que sa main droite achevait un tableau,
             Certain professeur en peinture
Gourmandait sa main gauche, et disait : « La nature
T’a fait là, pauvre peintre ! un assez sot cadeau.
             Jamais une esquisse, une ébauche,
Un simple trait peut-il sortir de ta main gauche ?
             Sait-elle tenir un pinceau ?
Non, pas même un crayon ! Cependant, maladroite,
             N’as-tu pas cinq doigts bien comptés ?
             Pour faire en tout mes volontés,
             Qu’as-tu de moins que ma main droite ?
—Beaucoup, monsieur, » répond pour le membre accusé
   L’un des cinq doigts ; le petit doigt, sans doute ;
   Doigt très instruit, doigt très rusé,
Doigt qui sait ce qu’il dit comme tel qui l’écoute.
« La main gauche à la droite est semblable en tous points,
Dans l’état de nature ou l’état d’ignorance,
   Car c’est tout un ; mais quelle différence
Entre ces sœurs bientôt s’établit par vos soins,
Vers la droite en tout temps portés de préférence !
La main droite est toujours en opération ;
La main gauche en repos : voilà toute l’affaire.
On ne peut devenir habile, à ne rien faire.
             Au seul défaut d’instruction
Attribuez, monsieur, l’impuissance où nous sommes.
             Croyez-vous l’éducation
             Moins nécessaire aux mains qu’aux hommes ? »

Fables, Livre II (1812)

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