Antoine-Vincent Arnault

La jalousie

Mélancolie est au fond de mon cœur ;
De chants joyeux n’ai pas la fantaisie ;
Plaintes, soupirs, accents de la douleur,
Voilà les chants de la mélancolie.
Cesse, ô ma voix ! cesse de soupirer
Chanson d’amour où peignais mon martyre :
À d’autres vers j’ai vu Daphné sourire.
Tais-toi, ma lyre ! Ah ! laisse-moi pleurer !
 
Plus ne prétends en langage des dieux
Chanter Daphné, chanter ma vive flamme :
Chanson d’amour irait jusqu’à ses yeux ;
Chanson d’amour n’irait plus à son âme.
Hier encor l’entendais assurer
Qu’un seul berger faisait chanson jolie :
C’est mon rival. Toi, que l’ingrate oublie,
Tais-toi, ma lyre ! Ah ! laisse-moi pleurer !
 
Si bien sentir vaut mieux que bien chanter,
Si bien aimer vaut mieux que bien le dire,
Las ! mieux que moi pouvait-on mériter
Le seul suffrage auquel ma muse aspire ?
Mais nouveauté, je le veux déclarer,
Séduit souvent la plus sage bergère.
Puisque Daphné comme une autre est légère,
Tais-toi, ma lyre ! Ah ! laisse-moi pleurer !
 
Quoi, vous allez la chercher malgré moi,
Vers indiscrets, enfants de jalousie !
Daphné vous lit : dieux ! quel est mon effroi !
Daphné sourit : dieux ! ma peine est finie !
Plus la douleur ne me doit tourmenter ;
À mon rival retournez, ma tristesse.
Mes vers encor plairaient à ma maîtresse ?
Tais-toi, chagrin ! Ah ! laisse-moi chanter !
 
                                       Écrit en 1789.

Poésies mêlées (1826)

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