Antoine de Latour

La prairie

Dans l’immense Prairie, océan sans rivages,
Houles d’herbes qui vont et n’ont pas d’horizons,
Cent rouges cavaliers, sur les mustangs sauvages,
Pourchassent le torrent farouche des bisons.
 
La plume d’aigle au crâne, et de la face au torse
Striés de vermillon, arc au poing et carquois
Pendu le long des reins par un lien d’écorce,
Ils percent en hurlant les bêtes aux abois.
 
Sous les traits barbelés qui leur mordent les côtes,
Les taureaux chevelus courent en mugissant,
Et l’aveugle trouée, entre les herbes hautes,
Se mouille de leur bave et des jets de leur sang.
 
La masse épaisse, aux poils épars, toujours accrue,
Écrasant blessés, morts, chaparals rabougris,
Franchissant les rochers et les cours d’eau, se rue
Parmi les râlements d’agonie et les cris.
 
Au loin, et derrière eux, mais rivés à leurs traces,
Les loups blancs du désert suivent silencieux,
Avec la langue hors de leurs gueules voraces
Et dardant de désir la braise de leurs yeux.
 
Puis tout cela, que rien n’entrave ni n’arrête.
Beuglements, clameurs, loups, cavaliers vagabonds,
Dans l’espace, comme un tourbillon de tempête,
Roule, fuit et s’enfonce et disparaît par bonds.

Derniers poèmes (1895)

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