Anatole France

Le captif

Il est, non loin des tièdes syrtes
Où bleuit la mer en repos,
Un bois d’orangers et de myrtes
Dont n’approchent point les troupeaux.
 
Là, sous l’ombre antique d’un arbre,
Un satyre, ouvrage divin,
Sourit dans sa gaine de marbre,
Comme réjoui par le vin.
 
Il a des oreilles aiguës
Que dresse un frémissement prompt ;
De jeunes cornes invaincues
Reluisent sur son mâle front ;
 
On voit que ses larges narines
Portent à ses heureux esprits
La fraîcheur des brises marines
Et les parfums des bois fleuris ;
 
Les coins soulevés de ses lèvres
Rappellent le falerne bu ;
Deux glandes, comme en ont les chèvres,
Pendent sous son menton barbu.
 
Captif du socle pentélique,
Languit un triste adolescent
Le dieu, de son regard oblique,
Lui verse un rayon caressant.
 
Mais lui, l’enfant aux ailes blanches,
Lève, des yeux brillants de pleurs,
A cause de ses molles hanches,
De ses bras liés par des fleurs.
 
Les larmes sur sa belle joue,
Mouillent sa chevelure d’or.
Parfois ses ailes qu’il secoue
Méditent l’impossible essor.
 
Et tant que le soleil éclaire
Le bois chaste et silencieux,
Les fiers desseins et la colère
Enflamment ses humides yeux.
 
Mais quand vient l’ombre transparente
Ramener les Nymphes en choeur,
Il rit, et sa chaîne odorante
Enivre doucement son coeur.

Idylles et légendes (1873)

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