Amable Tastu

Mon royaume

Un jour aussi je voulus être Reine :
D’ambition quel cœur n’est entaché ?
Je me suis fait un Empire caché,
Monde inconnu, hors a sa Souveraine :
Mon Trône, est humble et n’a rien d’éclatant ;
Mais nul péril aussi qu’on me le prenne :
Combien de Rois n’en diraient pas autant ?
 
J’ai dans ma Cour, aux autres Cours pareilles,
Des ennemis qui se font mes flatteurs,
Les vanités et les rêves menteurs ;
Mais j’ai près d’eux un Conseiller qui veille.
Que je faillisse, il me tance à l’instant ;
Rien à sa voix n’interdit mon oreille !
Combien de Rois n’en diraient pas autant ?
 
Ne croyez pas ma puissance exposée
A se briser dans ses vouloirs mouvants,
Comme un drapeau qui flotte au gré des vents ;
A son caprice une borne est posée.
Oui, j’obéis, non au joug qu’on me tend,
Mais à la Loi par moi-même imposée :
Combien de Rois n’en diraient pas autant ?
 
J’ai mon Spectacle, et souvent s’y déploie
Un drame sombre, ou fantasque, ou riant ;
Chants d’Italie et luxe d’Orient,
Fleurs et parfums, murs d’or, tapis de soie :
Fête où jamais nul ennui ne m’attend,
Où nul Impôt n’a dû payer ma joie !...
Combien de Rois n’en diraient pas autant ?
 
Qu’on ait vécu sous le marbre ou le chaume,
Au même but nous arrivons., hélas !
Rois et Sujets, il faut, plus ou moins las,
Tomber aux pieds de l’éternel fantôme.
Mais quels regrets me suivraient en partant,
Sûre, avec moi, d’emporter mon Royaume ?
Est-il un Roi qui puisse en dire autant ?

Poésies nouvelles (1835)

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