Alfred de Musset

Stances– Que j’aime à voir

Que j’aime à voir, dans la vallée
               Désolée,
Se lever comme un mausolée
Les quatre ailes d’un noir moutier !
Que j’aime à voir, près de l’austère
               Monastère,
Au seuil du baron feudataire,
La croix blanche et le bénitier !
 
Vous, des antiques Pyrénées
               Les aînées,
Vieilles églises décharnées,
Maigres et tristes monuments,
Vous que le temps n’a pu dissoudre,
               Ni la foudre,
De quelques grands monts mis en poudre
N’êtes-vous pas les ossements ?
 
J’aime vos tours à tête grise,
               Où se brise
L’éclair qui passe avec la brise,
J’aime vos profonds escaliers
Qui, tournoyant dans les entrailles
               Des murailles,
À l’hymne éclatant des ouailles
Font répondre tous les piliers !
 
Oh ! lorsque l’ouragan qui gagne
               La campagne,
Prend par les cheveux la montagne,
Que le temps d’automne jaunit,
Que j’aime, dans le bois qui crie
               Et se plie,
Les vieux clochers de l’abbaye,
Comme deux arbres de granit !
 
Que j’aime à voir, dans les vesprées
               Empourprées,
Jaillir en veines diaprées
Les rosaces d’or des couvents !
Oh ! que j’aime, aux voûtes gothiques
               Des portiques,
Les vieux saints de pierre athlétiques
Priant tout bas pour les vivants !

Premières poésies (1829)

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