Albert Mérat

Lettre

Que fais-tu là, chère attendue ?
L’ennui fâcheux vient-il souvent
Rendre à ton doux esprit rêvant
Une longue visite indue ?
Fais-tu des voyages charmants
Aux pays où l’amour habite
Avec les héros de romans ?
 
Comment vas-tu, chère petite ?
Moi, je vais très bien,—seulement
Je vais très mal aussi. Ta bouche
Sourit ailleurs, et ton amant
Songe à l’absente, et puis se couche
Et s’endort solitairement
 
D’un sommeil chaste mais farouche.
 
Il faut me croire et te hâter ;
Il faut t’en venir et jeter
Dans le soleil et dans la joie,
Dans la joie et dans le soleil,
L’éblouissement sans pareil
De ta jeunesse qui flamboie.
Tu n’as pas besoin du conseil.
 
Dehors, il fait si beau, mignonne !
Le poète-soleil entonne
L’hymne étincelant de l’été.
Il baise avec sérénité
La grande terre qui frissonne ;
Le pinson chante un air flûté,
Et le grillon brun carillonne,
Carillonne, obscur entêté.
 
Le jour s’en va ; la nuit qui passe
Allume au travers de l’espace
Les girandoles du ciel bleu,
Les vieilles étoiles de feu
Qu’un souffle avive, puis efface.
Elles clignotent tendrement ;
Et la lune, avec sentiment,
La lune, pudibonde et sage,
Se ressouvenant d’un autre âge,
Cherche Endymion dans les bois
Et glisse parmi le feuillage
Ses regards de vierge aux abois.
 
C’est l’heure d’aller dans les branches
Voyager à deux pas d’ici,
A Chaville, à Montmorency,
Rêvant choses roses et blanches,
Choses couleur d’azur aussi,
Et de s’arrêter, Dieu merci !
Pour lire cela, puis ceci
Dans le livre doré sur tranches
De l’amour jeune et sans souci.
 
Juin riant et mélancolique
Débute et fait de la musique
Dans les prés verts, à pleine voix.
Il tire ses feux d’artifice :
Aux flammes roses du Caprice
Le rêveur se brûle les doigts.
Sur la mousse chaude des bois
Courir alors est un délice.
 
Viens-tu, chère absente ? Je veux
Pour en embaumer tes cheveux
Chercher la dernière églantine.
En allant, tu me laisseras
M’arrêter à nouer mes bras
Autour de ta jeune poitrine.
Je veux mettre, ô mon bengali,
Sur ton front de marbre poli
Mon front que la caresse incline,
Et sur ta bouche un long baiser.
 
Restons, on est mieux dans la chambre
Quand le jour s’endort apaisé.
Couleurs de lait et senteurs d’ambre,
Ensemble avec art composé,
Accord parfait de chaque membre,
Voilà bien, en toute saison,
Pour l’amoureux le seul poème
Dont il entende la raison.
 
La rime en est toujours la même :
« Je t’aime, je t’aime, je t’aime ! »
 
M’aimeras-tu ? Je n’en sais rien.
Il se pourrait.—Il se peut bien
Que je chante : « Mon cœur soupire... »
Pendant (tu ne lis pas Musset ?
Plus tard, je te le ferai lire)
Que tu chanteras en fausset
L’air guilleret : « Vive Henri Quatre ! »
 
Les esprits sont faits pour se battre,
Mais les cœurs sont faits pour s’aimer.
L’heure blesse : il faut la charmer.
—Donc aimons-nous ! cueillons des roses
Tandis que tes lèvres écloses
Sont comme deux fleurs de printemps.
Ouvrons nos cœurs à deux battants.
Aimons-nous sans mélancolie :
C’est la raison. C’est la folie.

Le livre de l’amie (1866)

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