Albert Mérat

La petite rivière

La petite rivière, bleue
Si peu que le ciel ait d’azur,
D’ici fait encore une lieue,
Puis verse au fleuve son flot pur.
 
Plus grande, elle serait moins douce,
Elle n’aurait pas la lenteur
Qui dans les herbes mène et pousse
Son cours délicat et chanteur.
 
Elle n’aurait pas de prairies
Plus vertes si près de la main,
Non plus que ces berges fleuries
Où marque à peine le chemin.
 
Ni le silence si paisible,
Ni parmi les plantes des eaux
L’étroit chenal presque invisible
Entre les joncs et les roseaux.
 
Et le moulin qui sort des branches
N’aurait pas à bruire ailleurs
Plus d’eau dans ses palettes blanches,
Ni plus de mousses et de fleurs.
 
La petite rivière est gaie
Ou mélancolique, suivant
Qu’un oiseau chante dans la haie
Ou qu’il pleut et qu’il fait du vent.
 
Selon l’heure, joyeuse ou triste,
Couleur du soir ou du matin,
Comme une charmeuse elle insiste,
Lorsque l’œil la perd au lointain,
 
Derrière le saule incolore
Ou le vert des grands peupliers,
A montrer une fois encore
Ses caprices inoubliés.

Le Parnasse contemporain, III (1876)

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