Albert Mérat

Chœur

Il avait plu. Le ciel jetait par intervalle
Des rayons incertains sur la vallée ovale,
Et trouait le brouillard et les nuages blancs.
Sur le bord du chemin les fins bouleaux tremblants
Et les chênes trapus auprès des sapins grêles,
Pareils à des oiseaux qui lustreraient leurs ailes,
Secouaient doucement leur feuillage plus vert.
L’air soufflait, sous l’azur à demi découvert,
Une haleine à la fois ardente et rafraîchie.
La route qu’on allait bientôt avoir franchie
Semblait, comme voulant égayer les adieux,
Lancer toute mouillée un rire radieux.
Les merles remuaient dans les branches lavées
Et, pleine d’eau, la fleur des cimes élevées,
La digitale svelte au flanc du granit bleu
Faisait étinceler ses clochettes de feu.
Le bois farouche avait des feuilles irisées ;
Un éblouissement d’éclairs et de rosées
Passait dans les circuits du long chemin vermeil :
Et l’on sentait sécher la montagne au soleil.
 
Alors, dans le lointain, des notes de musique,
Comme pour saluer ce réveil bucolique,
S’élevèrent. C’était un chant limpide et clair,
Un vieux chant de bergers bergamasques, dont l’air
Avait sans doute été trouvé dans la montagne ;
Quand de l’écho des bois la bouche s’accompagne,
Il faut que chaque son qu’elle dit soit très doux.
Du couchant glorieux le chœur venait à nous,
S’abaissant ou soudain s’enflant avec la brise.
La pensée en était simple et si bien comprise
Qu’on la pouvait saisir, à travers le charmant
Mélange de ces voix jointes naïvement ;
Car, bien qu’atténué parmi le vent sonore,
Le rythme parvenait fidèle et juste encore,
Et mon rêve entendait clairement tour à tour
Un chant religieux, une chanson d’amour.

Les tableaux de voyage (1865)

#ÉcrivainsFrançais

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