Victor Hugo

La prière pour tous (IX)

               IX.
 
Oh ! bien loin de la voie
Où marche le pécheur,
Chemine où Dieu t’envoie !
Enfant, garde ta joie !
Lis, garde ta blancheur !
 
Sois humble ! que t’importe
Le riche et le puissant !
Un souffle les emporte.
La force la plus forte
C’est un coeur innocent !
 
Bien souvent Dieu repousse
Du pied les hautes tours ;
Mais dans le nid de mousse
Où chante une voix douce
Il regarde toujours !
 
Reste à la solitude !
Reste à la pauvreté !
Vis sans inquiétude,
Et ne te fais étude
Que de l’éternité !
 
Il est, loin de nos villes
Et loin de nos douleurs,
Des lacs purs et tranquilles,
Et dont toutes les îles
Sont des bouquets de fleurs !
 
Flots d’azur où l’on aime
À laver ses remords !
D’un charme si suprême
Que l’incrédule même
S’agenouille à leurs bords !
 
L’ombre qui les inonde
Calme et nous rend meilleurs ;
Leur paix est si profonde
Que jamais à leur onde
On n’a mêlé de pleurs !
 
Et le jour, que leur plaine
Reflète éblouissant,
Trouve l’eau si sereine
Qu’il y hasarde à peine
Un nuage en passant !
 
Ces lacs que rien n’altère,
Entre des monts géants
Dieu les met sur la terre,
Loin du souffle adultère
Des sombres océans,
 
Pour que nul vent aride,
Nul flot mêlé de fiel
N’empoisonne et ne ride
Ces gouttes d’eau limpide
Où se mire le ciel !
 
Ô ma fille, âme heureuse !
Ô lac de pureté !
Dans la vallée ombreuse,
Reste où ton Dieu te creuse
Un lit plus abrité !
 
Lac que le ciel parfume !
Le monde est une mer ;
Son souffle est plein de brume,
Un peu de son écume
Rendrait ton flot amer !
 
                                       Mai 1830.

Les feuilles d’automne (1831)

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