Victor Hugo

Contempler dans son bain sans voiles

Amor, ch'a null' amato amar perdona,
Mi prese del costui placer si forte
Che, come vedi, ancor non m'abbandona.
DANTE.

Contempler dans son bain sans voiles
Une fille aux yeux innocents ;
Suivre de loin de blanches voiles ;
Voir au ciel briller les étoiles
Et sous l’herbe les vers luisants ;
 
Voir autour des mornes idoles
Des sultanes danser en rond ;
D’un bal compter les girandoles ;
La nuit, voir sur l’eau les gondoles
Fuir avec une étoile au front ;
 
Regarder la lune sereine ;
Dormir sous l’arbre du chemin ;
Être le roi lorsque la reine,
Par son sceptre d’or souveraine,
L’est aussi par sa blanche main ;
 
Ouïr sur les harpes jalouses
Se plaindre la romance en pleurs ;
Errer, pensif, sur les pelouses,
Le soir, lorsque les andalouses
De leurs balcons jettent des fleurs ;
 
Rêver, tandis que les rosées
Pleuvent d’un beau ciel espagnol,
Et que les notes embrasées
S’épanouissent en fusées
Dans la chanson du rossignol ;
 
Ne plus se rappeler le nombre
De ses jours, songes oubliés ;
Suivre fuyant dans la nuit sombre
Un Esprit qui traîne dans l’ombre
Deux sillons de flamme à ses pieds ;
 
Des boutons d’or qu’avril étale
Dépouiller le riche gazon ;
Voir, après l’absence fatale,
Enfin, de sa ville natale
Grandir la flèche à l’horizon ;
 
Non, tout ce qu’a la destinée
De bien réels ou fabuleux
N’est rien pour mon âme enchaînée
Quand tu regardes inclinée
Mes yeux noirs avec tes yeux bleus !

"Les feuilles d'automne (1831)"
Septembre 1831.

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