Victor Hugo

C’est l’hiver

C’est l’hiver. Ô villes folles,
Dansez ! Dans le bal béant
Tourbillonnent les paroles
De la joie et du néant.
 
L’homme flotte dans la voie
Où l’homme errant se perdit ;
En bas le plaisir flamboie,
En haut l’amour resplendit.
 
Le plaisir, clarté hagarde
Du faux rire et des faux biens,
Dit au noir passant : Prends garde !
L’amour rayonne et dit : Viens !
 
Ces deux lueurs, sur la lame
Guidant l’hydre et l’alcyon,
Nous éclairent ; toute l’âme
Vogue à ce double rayon.
 
Mer ! j’ai fui loin des Sodomes ;
Je cherche tes grands tableaux ;
Mais ne voit-on pas les hommes
Quand on regarde les flots ?
 
Les spectacles de l’abîme
Ressemblent à ceux du cour ;
Le vent est le fou sublime,
Le jonc est le-nain moqueur.
 
Comme un ami l’onde croule ;
Sitôt que le jour s’enfuit
La mer n’est plus qu’une foule
Qui querellé dans la nuit ;
 
Le désert de l’eau qui souffre
Est plein de cris et de voix,
Et parle dans tout le gouffre
A toute l’ombre à la fois.
 
Que dit-il ? Dieu seul recueille
Ce blasphème ou ce sanglot ;
Dieu seul répond à la feuille,
Et Dieu seul réplique au flot.

"Toute la lyre (1888 et 1893)"

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