Théophile Gautier

Coquetterie posthume

Quand je mourrai, que l’on me mette,
Avant de clouer mon cercueil,
Un peu de rouge à la pommette,
Un peu de noir au bord de l’oeil.
 
Car je veux dans ma bière close,
Comme le soir de son aveu,
Rester éternellement rose
Avec du kh’ol sous mon oeil bleu.
 
Pas de suaire en toile fine,
Mais drapez-moi dans les plis blancs
De ma robe de mousseline,
De ma robe à treize volants.
 
C’est ma parure préférée ;
Je la portais quand je lui plus.
Son premier regard l’a sacrée,
Et depuis je ne la mis plus.
 
Posez-moi, sans jaune immortelle,
Sans coussin de larmes brodé,
Sur mon oreiller de dentelle
De ma chevelure inondé.
 
Cet oreiller, dans les nuits folles,
A vu dormir nos fronts unis,
Et sous le drap noir des gondoles
Compté nos baisers infinis.
 
Entre mes mains de cire pâle,
Que la prière réunit,
Tournez ce chapelet d’opale,
Par le pape à Rome bénit :
 
Je l’égrènerai dans la couche
D’où nul encor ne s’est levé ;
Sa bouche en a dit sur ma bouche
Chaque Pater et chaque Ave.

Émaux et Camées (1852)

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