Théophile Gautier

Chant du grillon

                 I
 
Souffle, bise ! Tombe à flots, pluie !
Dans mon palais, tout noir de suie,
Je ris de la pluie et du vent ;
En attendant que l’hiver fuie,
Je reste au coin du feu, rêvant.
 
C’est moi qui suis l’esprit de l’âtre !
Le gaz, de sa langue bleuâtre,
Lèche plus doucement le bois ;
La fumée, en filet d’albâtre,
Monte et se contourne à ma voix.
 
La bouilloire rit et babille ;
La flamme aux pieds d’argent sautille
En accompagnant ma chanson ;
La bûche de duvet s’habille ;
La sève bout dans le tison.
 
Le soufflet au râle asthmatique,
Me fait entendre sa musique ;
Le tournebroche aux dents d’acier
Mêle au concerto domestique
Le tic-tac de son balancier.
 
Les étincelles réjouies,
En étoiles épanouies,
vont et viennent, croisant dans l’air,
Les salamandres éblouies,
Au ricanement grêle et clair.
 
Du fond de ma cellule noire,
Quand Berthe vous conte une histoire,
Le Chaperon ou l’Oiseau bleu,
C’est moi qui soutiens sa mémoire,
C’est moi qui fais taire le feu.
 
J’étouffe le bruit monotone
du rouet qui grince et bourdonne ;
J’impose silence au matou ;
Les heures s’en vont, et personne
N’entend le timbre du coucou.
 
Pendant la nuit et la journée,
Je chante sous la cheminée ;
Dans mon langage de grillon,
J’ai, des rebuts de son aînée,
Souvent consolé Cendrillon.
 
Le renard glapit dans le piège ;
Le loup, hurlant de faim, assiège
La ferme au milieu des grands bois ;
Décembre met, avec sa neige,
Des chemises blanches aux toits.
 
Allons, fagot, pétille et flambe ;
Courage, farfadet ingambe,
Saute, bondis plus haut encore ;
Salamandre, montre ta jambe,
Lève, en dansant, ton jupon d’or.
 
Quel plaisir ! Prolonger sa veille,
Regarder la flamme vermeille
Prenant à deux bras le tison ;
A tous les bruits prêter l’oreille ;
Entendre vivre la maison !
 
Tapi dans sa niche bien chaude,
Sentir l’hiver qui pleure et rôde,
Tout blême et le nez violet,
Tâchant de s’introduire en fraude
Par quelque fente du volet.
 
Souffle, bise ! Tombe à flots, pluie !
Dans mon palais, tout noir de suie,
Je ris de la pluie et du vent ;
En attendant que l’hiver fuie
Je reste au coin du feu, rêvant.
 
                 II
 
Regardez les branches,
Comme elles sont blanches ;
Il neige des fleurs !
Riant dans la pluie,
Le soleil essuie
Les saules en pleurs,
Et le ciel reflète
Dans la violette,
Ses pures couleurs.
 
La nature en joie
Se pare et déploie
Son manteau vermeil.
Le paon qui se joue,
Fait tourner en roue,
Sa queue au soleil.
Tout court, tout s’agite,
Pas un lièvre au gîte ;
L’ours sort du sommeil.
 
La mouche ouvre l’aile,
Et la demoiselle
Aux prunelles d’or,
Au corset de guêpe,
Dépliant son crêpe,
A repris l’essor.
L’eau gaîment babille,
Le goujon frétille,
Un printemps encore !
 
Tout se cherche et s’aime ;
Le crapaud lui-même,
Les aspics méchants ;
Toute créature,
Selon sa nature :
La feuille a des chants ;
Les herbes résonnent,
Les buissons bourdonnent ;
C’est concert aux champs.
 
Moi seul je suis triste ;
Qui sait si j’existe,
Dans mon palais noir ?
Sous la cheminée,
Ma vie enchaînée,
Coule sans espoir.
Je ne puis, malade,
Chanter ma ballade
Aux hôtes du soir.
 
Si la brise tiède
Au vent froid succède ;
Si le ciel est clair,
Moi, ma cheminée
N’est illuminée
Que d’un pâle éclair ;
Le cercle folâtre
Abandonne l’âtre :
Pour moi c’est l’hiver.
 
Sur la cendre grise,
La pincette brise
Un charbon sans feu.
Adieu les paillettes,
Les blondes aigrettes ;
Pour six mois adieu
La maîtresse bûche,
Où sous la peluche,
Sifflait le gaz bleu.
 
Dans ma niche creuse,
Ma natte boiteuse
Me tient en prison.
Quand l’insecte rôde,
Comme une émeraude,
Sous le vert gazon,
Moi seul je m’ennuie ;
Un mur, noir de suie,
Est mon horizon.

La comédie de la mort (1838)

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