Théodore de Banville

Loys.

Mon Loys, j’ai sous vos prunelles,
Oublié, dans mon cœur troublé,
Mon époux qui s’en est allé
Pour combattre les infidèles.
Quand nous le croirons loin encor,
Il sera là, Dieu nous pardonne !
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?
 
J’ai lu dans un ancien poème
Qu’une autre Yolande autrefois
Près de son page Hector de Foix
Oublia son époux de même.
 
Elle gardait comme un trésor
Ces extases que l’amour donne.
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?
 
Cette Yolande était duchesse,
Mille vassaux étaient son bien,
Et son bel ami n’avait rien
Que ses cheveux blonds pour richesse.
Pour cet enfant aux cheveux d’or
La dame eût vendu sa couronne.
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?
 
Ces amants qu’un doux rêve assemble,
Ont souvent passé plus d’un jour
À se dire des chants d’amour,
Ou bien à regarder ensemble
Les oiseaux prendre leur essor
Vers l’azur qui tremble et frissonne.
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?
 
Ou bien ils passaient leurs journées
À revoir d’auréoles ceints
Les bonnes Vierges et les Saints
Dans les Bibles enluminées.
 
L’Amour dit son confiteor
Sans écouter l’heure qui sonne.
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?
 
Comme leurs lèvres en délire
Un soir longuement s’assemblaient,
En des baisers qui ressemblaient
Aux frémissements d’une lyre,
On entendit au corridor
Les pas de l’époux en personne.
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?
 
Sais-tu quel sort on nous destine ?
Le malheureux page exilé,
Plein d’un regret inconsolé,
Alla mourir en Palestine.
Toujours pleurant son cher Hector,
La dame au couvent mourut nonne.
Mon beau page, quel bruit résonne ?
Est-ce lui qui sonne du cor ?

Les Cariatides (1842)

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