Sully Prudhomme

L’amour maternel

   À Maurice Chevrier.
 
 
Fait d’héroïsme et de clémence,
Présent toujours au moindre appel,
Qui de nous peut dire où commence,
Où finit l’amour maternel ?
 
Il n’attend pas qu’on le mérite,
Il plane en deuil sur les ingrats ;
Lorsque le père déshérite,
La mère laisse ouverts ses bras ;
 
Son crédule dévouement reste
Quand les plus vrais nous ont menti,
Si téméraire et si modeste
Qu’il s’ignore et n’est pas senti.
 
Pour nous suivre il monte ou s’abîme,
À nos revers toujours égal,
Ou si profond ou si sublime
Que, sans maître, il est sans rival :
 
Est-il de retraite plus douce
Qu’un sein de mère, et quel abri
Recueille avec moins de secousse
Un cœur fragile endolori ?
 
Quel est l’ami qui sans colère
Se voit pour d’autres négligé ?
Qu’on méconnaît sans lui déplaire,
Si bon qu’il n’en soit affligé ?
 
Quel ami dans un précipice
Nous joint sans espoir de retour,
Et ne sent quelque sacrifice
Où la mère ne sent qu’amour ?
 
Lequel n’espère un avantage
Des échanges de l’amitié ?
Que de fois la mère partage
Et ne garde pas sa moitié !
 
Ô mère, unique Danaïde
Dont le zèle soit sans déclin,
Et qui, sans maudire le vide,
Y penche un grand cœur toujours plein !

Les vaines tendresses (1875)

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