Robert Desnos

L’aveugle

Les yeux clos elle allait dans un pays de nacre
Où la vie assumait la forme d’un croissant
C’était un jour de foire et les jeux de massacre
Retentissaient du rire et des cris des passants
 
Dans l’eau de l’océan les mines englouties
Recelaient des échos en place de trésors
Les ouvriers lâchant le manche des outils
Incendiaient les forêts et la nouvelle aurore
Répandue à grands flots se brisait aux murailles
La terre tressaillait à l’appel des volcans
Les sorciers découvraient dans le corps des volailles
Le mirage du ciel et d’impurs talismans
 
Chaque nuit éclairée par les aérolithes
Se déchirait sinistre avec un bruit d’accroc
Et les loups en hurlant surgissaient de leurs gîtes
Pour sceller les cailloux des marques de leurs crocs
Sans souci j’ai suivi le chemin de l’aveugle
Ses pieds trébuchaient sur les dalles des perrons
Mais ses doigts décbiflraient les mufles et les gueules
Des fauves effrayés par le bruit des clairons
 
Sa bouche ne savait ni chanson ni prière
Ses seins qu’avaient mordus d’anonymes amants
Saillaient sous le corsage et sous ses deux paupières
Deux miroirs reflétaient son attendrissement
Il fleurissait dans l’ombre en roses phospboriques
Dans un parc de granit de flamme et de métal
Où jamais le refrain grotesque des cantiques
Ne troubla le silence immobile et fatal
 
Je n’oublierai jamais le docteur imbécile
Qui l’ayant délivrée des nuits de cécité
Mourut en attendant avec un cœur tranquille
Qu’un archange joufflu vînt l’en féliciter
Mais avant d’évoquer au fond de ses prunelles
Un paysage absurde avec ses monuments
Le fer heurtant le fer en crachats d’étincelles
Et les menteurs levant la main pour les serments
 
Soyez bénis dit-elle au granit de son rêve
Soyez bénis dit-elle aux reflets des cristaux
Le voyage à bon port en cet instant s’achève
Au pied du sémaphore à l’ombre des signaux
Mais aujourd’hui n’est pas mon jour de délivrancr
Ce n’est pas moi qu’on rend aux soirs et aux maria ;
Le rêve prisonnier de mon esprit s’élance
Comme un beau patineur chaussé de ses patins
 
La terre connaîtra mes cités ténébreuses
Mes spectres minéraux mon cœur sans dimension
Les lilas effeuillés la mort des tubéreuses
La danse que
Don
Juan et moi-même dansions
Que tous ferment les yeux au temps où mes
 
s’ouvrent
S’il n’est pas tout à moi que me fait l’univers
Avec ses
Wesminsters ses
Kjremlins et ses
Louvres
Que m’importe l’amour si mon amant voit clair
Et ce soir célébrant notre mariage atroce
Je plongerai l’acier dans ses yeux adorés
Que mon premier baiser soit un baiser féroce
Et puis je guiderai ses pas mal assurés
 
Je finirai ma vie en veillant sur sa vie
Je le protégerai des maux et des dangers
Je couvrirai son corps contre l’intempérie
Et je prendrai la lettre aux mains du messager
 
Je lirai l’heure ardente au cadran de l’horloge
J’aurai pour lui des soins hideux et maternels
Je serai l’infirmière à qui vont les éloges
La maîtresse impérieuse aux ordres sans appel
 
Le soir qu’éclaboussaient les étoiles filantes
Se déplia comme un serpent sur les pays
Chaque fleur à son tour a fleuri sur les plantes
Et puis voici la mort qui n’a jamais failli
 
Lits éventrés nuit éternelle éclair des crimes
Incendie allumé dans la maison des fous
Void venir l’amour du fin fond des abîmes
Void venir l’amour lampes éteignez-vous !
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