Pierre Reverdy

Le sang de menage

II criait dans la ruelle à l’abri
 
Je suis le mari de cette femme débraillée
 
Qui vous montrera son cœur et son âme pour rien
 
Regardez
 
L’heure du départ avait depuis longtemps sonné
 
Puis ce fut le hasard les voyages sans fin
 
Et ce voyage qui finit vous savez comment
 
Mais on ne sait quand
 
Personne ne sait quand
 
 
Homme et femme ils se ressemblaient
 
Pour rien son corps pour rien son âme
 
On ne sait plus quel était l’homme et quel la femme
 
Partis ensemble ils sont rentrés par la même porte
 
Combien de temps sont-ils restés
 
Cela non plus personne ne le sait
 
Quand ils sont ressortis ils se ressemblaient tellement
 
Prêts à tout
 
Qu’on n’a pas pu les séparer
 
Ensemble on a dû les laisser
 
 
Et quand le train passa complet jusqu’aux portières
 
Quelqu’un qu’on ne voyait pas galopait par derrière
 
C’est le voyage sans fin
 
Que l’on prenne à son heure ou qu’on manque le train
 
Un à un les voyageurs descendent
 
Et prennent le sentier du petit cimetière
 
On va s’asseoir un moment sur un banc de pierre
 
Et les cyprès tiennent la lune dans leurs doigts
 
Ceux qui sont repartis rient de ceux qui se rendent
 
Et leur joie durera au moins jusqu’à demain
 
Mais il faut bien crier un peu contre sa femme
 
Elle avait disparu il restait elle aussi
 
Ils se ressemblaient tellement
 
L’un sans l’autre ils ne pouvaient finir leur vie
 
La ville est trop haute et droite
On a quitté la ruelle où chauffait le soleil
Sur les pavés qui montaient raide vers le ciel
Pour la campagne les saules frais les ruisseaux clairs
L’auberge peinte en vert
Sur la prairie déteinte
La forêt silencieuse ouvre ses portes
Les ruisseaux sont des rails où l’eau dort de chaleur
Les yeux au ciel l’oubli vient le silence est berceur
Ah le calme et la paix voilà
Des tas de souvenirs reviennent
On est né là on s’en souvient la ville est venue bien après
 
On rôde dans des rues d’où l’on voudrait sortir ’
 
Mais c’est fini on se regarde
 
On a les mêmes yeux on a le même nez
 
 
La bouche dit les mêmes mots
Comme on se ressemble
 
L’esprit seul n’y est pas
 
Où s’est-il donc caché
 
Ah voleur voleur lève ta chemise lève tes paupières
 
Je voudrais te mordre
 
Tu ne m’avais pas tout montré
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