Pierre de Ronsard

Magie, ou délivrance d’amour

Ode XXIX.
 
Sans avoir lien qui m’estraigne,
Sans cordons, ceinture ny nouds,
Et sans jartiere à mes genous
Je vien dessus ceste montaigne,
 
Afin qu’autant soit relasché
Mon cœur d’amoureuses tortures,
Comme de nœuds et de ceintures
Mon corps est franc et détaché.
 
Demons, seigneurs de ceste terre,
Volez en troupe à mon secours,
Combattez pour moi les Amours :
Contre eux je ne veux plus de guerre.
 
Vents qui soufflez par ceste plaine,
Et vous, Seine, qui promenez
Vos flots par ces champs, emmenez
En l’Océan noyer ma peine.
 
Va-t’en habiter tes Cytheres,
Ton Paphos, Prince idalien :
Icy pour rompre ton lien
Je n ay besoin de tes mysteres.
 
Anterot, preste-moy la main,
Enfonce tes fleches diverses ;
II faut que pour moy tu renverses
Cet ennemy du genre humain.
 
Je te pry, grand Dieu, ne m’oublie !
Sus, page, verse à mon costé
Le sac que tu as apporté,
Pour me guarir de ma folie !
 
Brusle du soufre et de l’encens.
Comme en l’air je voy consommée
Leur vapeur, se puisse en fumée
Consommer le mal que je sens !
 
Verse-moy l’eau de ceste esguiere ;
Et comme à bas tu la respans,
Qu’ainsi coule en ceste riviere
L’amour, duquel je me répans.
 
Ne tourne plus ce devideau :
Comme soudain son cours s’arreste,
Ainsi la fureur de ma teste
Ne tourne plus en mon cerveau.
 
Laisse dans ce geniévre prendre
Un feu s’enfumant peu à peu :
Amour ! je ne veux plus de feu,
Je ne veux plus que de la cendre.
 
Vien viste, enlasse-moy le flanc,
Non de thym ny de marjolaine,
Mais bien d’armoise et de vervaine,
Pour mieux me rafraischir le sang.
 
Verse du sel en ceste place :
Comme il est infertile, ainsi
L’engeance du cruel soucy
Ne couve en mon cœur plus de race.
 
Romps devant moy tous ses presens,
Cheveux, gands, chifres, escriture,
Romps ses lettres et sa peinture,
Et jette les morceaux aux vens.
 
Vien donc, ouvre-moy ceste cage,
Et laisse vivre en libertez
Ces pauvres oiseaux arrestez,
Ainsi que j’estois en servage.
 
Passereaux, volez à plaisir ;
De ma cage je vous delivre,
Comme desormais je veux vivre
Au gré de mon premier desir.
 
Vole, ma douce tourterelle,
Le vray symbole de l’amour ;
Je ne veux plus ni nuit ni jour
Entendre ta plainte fidelle.
 
Pigeon, comme tout à l’entour
Ton corps emplumé je desplume,
Puissé-je, en ce feu que j allume,
Déplumer les ailes d’Amour ;
 
Je veux à la façon antique
Bastir un temple de cyprès,
Où d’Amour je rompray les traits
Dessus l’autel anterotique.
 
Vivant il ne faut plus mourir,
Il faut du cœur s’oster la playe :
Dix lustres veulent que j’essaye
Le remede de me guarir.
 
Adieu, Amour, adieu tes flames,
Adieu ta douceur, ta rigueur,
Et bref, adieu toutes les dames
Qui m’ont jadis bruslé le cœur.
 
Adieu le mont Valerien,
Montagne par Venus nommée,
Quand Francus conduit son armée
Dessus le bord Parisien.

Poésies diverses (1587)

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