Pierre Corneille

Je ne puis aimer

                     Stance.
 
 
             Que vous sert-il de me charmer ?
             Aminte, je ne puis aimer
             Où je ne vois rien à prétendre ;
Je sens naître et mourir ma flamme à votre aspect,
Et si pour la beauté j’ai toujours l’âme tendre,
Jamais pour la vertu je n’ai que du respect.
 
             Vous me recevez sans mépris,
             Je vous parle, je vous écris,
             Je vous vois quand j’en ai l’envie ;
Ces bonheurs sont pour moi des bonheurs superflus ;
Et si quelque autre y trouve une assez douce vie,
Il me faut pour aimer quelque chose de plus.
 
             Le plus grand amour sans faveur,
             Pour un homme de mon humeur,
             Est un assez triste partage ;
Je cède à mes rivaux cet inutile bien,
Et qui me donne un cœur, sans donner davantage,
M’obligerait bien plus de ne me donner rien.
 
             Je suis de ces amants grossiers
             Qui n’aiment pas fort volontiers
             Sans aucun prix de leurs services,
Et veux, pour m’en payer, un peu mieux qu’un regard ;
Et l’union d’esprit est pour moi sans délices
Si les charmes des sens n’y prennent quelque part.
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