Paul Verlaine

Assonances galantes

I
 
Tu me dois ta photographie
À la condition que je
Serai bien sage—et tu t’y fies !
 
Apprends, ma chère, que je veux
Être, en échange de ce don
Précieux, un libertin que
 
L’on pardonne après sa fredaine
Dernière en faveur d’un second
Crime et peut-être d’un troisième.
 
Celle image que tu me dois
Et que je ne mérite pas,
Moyennant ta condition
 
Je l’aurais quand même tu me
La refuserais, puisque je
L’ai là dans mon cœur, nom de Dieu !
 
II
 
Là ! je l’ai, ta photographie
Quand t’étais cette galopine,
Avec, jà, tes yeux de défi,
 
Tes petits yeux en trous de vrille,
Avec alors de fiers tétins
Promus en fiers seins aujourd’hui.
 
Sous la longue robe si bien
Qu’on portait vers soixante-seize
Et sous la traîne et tout son train,
 
On devine bien ton manège
D’abord jà, cuisse alors mignonne,
Ce jourd’huy belle et toujours fraîche ;
 
Hanches ardentes et luronnes,
Croupe et bas ventre jamais las,
À présent le puissant appât,
 
Les appas, mûrs mais durs qu’appètent
Ma fressure quand tu es là
Et quand tu n’es pas là, ma tête !
 
III
 
Et puisque ta photographie
M’est émouvante et suggestive
À ce point et qu’en outre vit
 
Près de moi, jours et nuits, lascif
Et toujours prêt, ton corps en chair
Et en os et en muscles vifs
 
Et ton âme amusante, ô chère
Méchante, je ne serai « sage »
Plus du tout et zut aux bergères
 
Autres que toi que je vais sac–
Cager de si belle manière ;
—Il importe que tu le saches—
 
Que j’en mourrai, de ce plus fier
Que de toute gloire qu’on prise
Et plus heureux que le bonheur !
 
Et pour la tombe où mes gens gisent,
Toute belle ainsi que la vie,
Mets, dans son cadre de peluche,
 
Sur mon cœur, ta photographie.

Chair (1896)

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