Maurice Rollinat

Nostalgie de soleil

Quel poète évoquera le rose des bruyères,
Le lézard des vieux murs, la mouche des étangs,
Et le petit rayon qui vient, tout le beau temps,
Rire au carreau crasseux de la vieille chaumière ?
 
Les végétaux chambrés, le fleuri, la verdure
De ces jardins vitrés plus chauds que des maisons
Et tout le trompe-l’œil des tapis, des tentures
Voulant singer les rocs, les arbres, les gazons,
 
Accusent mieux, l’hiver, leur piteuse imposture
Alors que l’on regrette avec tant de douleur
Le soleil qui faisait éclater la couleur,
Flamber le verdoîment dans toute la nature !
 
Hélas ! bien avant l’heure où l’astre roi, l’été,
De sa pourpre de sang rend les plaines rougies,
Dès l’automne déjà s’impose la clarté
             Des mélancoliques bougies.
 
Tout seul, à leur lueur si blême,
             On a l’air de veiller un mort.
             Sans compter que, parfois encor,
             On dirait presque—horreur suprême !—
             Que ce défunt-là c’est soi-même.
 
Chaque retour d’hiver cause un frisson nouveau
             Avec ce jour de crépuscule,
             Ce sol humide de caveau
             Où nul insecte ne circule
Et qui paraît sous l’ombre abaisser son niveau.
             Au dur tic tac de la pendule
Le corps moisit, se caille ainsi que le cerveau.
Nos jours plus obscurcis devant le bois qui brûle
Dévident l’incertain de leur maigre écheveau.
 
Mais que le froid sèche ou s’endorme,
Et que le ciel s’allume, alors ! tout se transforme
En notre âme, ce sphinx inquiet, noir problème,
             Louche énigme pour elle-même
             Dans sa prison d’humanité !
Pour cette renfermée, au ténébreux martyre,
             Le Soleil, c’est le bon sourire,
             C’est l’œil compatissant de la Fatalité !

Paysages et paysans (1899)

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