Marceline Desbordes-Valmore

L’innocence

Beau fantôme de l’innocence,
   Vêtu de fleurs,
Toi qui gardes sous ta puissance
   Une âme en pleurs !
 
Ô toi qui devanças nos hontes
   Et nos revers,
Es-tu si grand que tu surmontes
   Tout l’univers !
 
Le reste, comme la poussière,
   S’est envolé,
Devant le feu de ma paupière
   Tout s’est voilé,
 
Tout s’est enfui, flamme et fumée,
   Tout est au vent ;
Toi seul sur mon âme enfermée
   Planes souvent.
 
Pour courir à ta voix qui crie :
   « Éternité ! »
Pour monter à Dieu que je prie,
   J’ai tout jeté.
 
La nuit, pour chasser un mensonge
   Qui me fait peur,
Ta main, plus forte que le songe,
   Étreint mon coeur.
 
Quelle absence est assez profonde
   Pour te braver,
Quand ton regard perce le monde
   Pour nous trouver ?
 
De mon âme ont jailli des âmes
   Dignes de toi :
Au milieu de ces pures flammes,
   Ressaisis-moi !
 
Beau fantôme de l’innocence
   Vêtu de fleurs,
Oh ! Garde bien en ta puissance
   Notre âme en pleurs.

Poésies inédites (1860)

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