Louis Aragon

Les larmes se ressemblent

Dans le ciel gris des anges de faïence
Dans le ciel gris des sanglots étouffés
Il me souvient de ces jours de Mayence
Dans le Rhin noir pleuraient des filles-fées
 
On trouvait parfois au fond des ruelles
Un soldat tué d’un coup de couteau
On trouvait parfois cette paix cruelle
Malgré le jeune vin blanc des coteaux
 
J’ai bu l’alcool transparent des cerises
J’ai bu les serments échangés tout bas
Qu’ils étaient beaux les palais les églises
J’avais vingt ans Je ne comprenais pas
 
Qu’est-ce que je savais de la défaite
Quand ton pays est amour défendu
Quand il te faut la voix des faux-prophètes
Pour redonner vie à l’espoir perdu
 
Il me souvient de chansons qui m’émurent
Il me souvient des signes à la craie
Qu’on découvrait au matin sur les murs
Sans en pouvoir déchiffrer les secrets
 
Qui peut dire où la mémoire commence
Qui peut dire où le temps présent finit
Où le passé rejoindra la romance
Où le malheur n’est qu’un papier jauni
 
Comme l’enfant surprit parmi ses rêves
Les regards bleus des vaincus sont gênants
Le pas des pelotons à la relève
Faisait frémir le silence rhénan.

Le Fou d’Elsa (1963)

#ÉcrivainsFrançais

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