Aujourd’hui
comme en 1925 comme en 1936 comme en 1943 dans la rue
Dauphine quand il allait chercher à manger pour ses chats de la rue
Mazarine avant d’être cravaté emporté déporté
tué
par la guerre la police la vacherie le typhus
je me suis promené avec
Robert
Desnos
oui je me suis promené avec lui
et on riait
et on s’engueulait
on n’était pas toujours d’accord
même s’il est mort
tous deux comme une femme nous aimions la vie
ce n’était jamais la même femme
était-ce toujours la même vie
Aujourd’hui moi aussi je me suis promené avec mon camarade
avec mon ami
et ses grands éclats de voix de colère et de rire et de portes claquées et de carreaux brisés rebondissaient sur le pavé mais toujours il y avait dans la main de l’amitié le mastic du vitrier
Aujourd’hui 10 novembre 1955
je me suis promené avec lui dans la rue
Saint-Martin le jour n’était pas encore éteint, mais déjà étaient allumées les boutiques de la bimbeloterie
Sur le trottoir étroit il restait là ébloui devant les
Articles de
Paris
Son regard d’enfant
mieux qu’un diamant
coupait les vitres
et racontait déjà la vie aventureuse de ces futurs souvenirs
de cette merveilleuse pacotille
Sur la ville le ciel était bleu fastueux bleu d’orage et de tendre furie
Les nuages étaient en habit
ils s’en allaient à la noce
aujourd’hui
même s’il est mort
à la noce à
Desnos
à la noce à
Youki
même s’il est un peu loin d’elle
et elle un peu loin de lui
et nous buvions un verre au tournant de chaque rue
à la santé entière
d’un monde éparpillé
d’un monde escamoté
d’un monde retrouvé
et perdu
éperdu
Pyramide de verre
de vignes et de sable
de souvenirs légers
de griefs oubliés
Et tous deux sous la table
ou attablés dessus
nous ne nous cherchions plus de raisons dans le vin
autant chercher dans l’eau du robinet
la saveur heureuse du raisin
À ta santé
Robert
et même si tu es mort
à ton rêve éveillé.