Henri-Frédéric Amiel

Il pianto.

—Ah ! c’est à détester la vie !
Toujours, partout, se sentir seul !
A la solitude asservie,
Mon âme file son linceul.
DIX fois ! ma main l’a mise nue,
Dix fois, bien qu’elle en ait frémi !
Mon âme est encore inconnue
       A mon meilleur ami !
 
—C’est vrai ; mais, avant de maudire,
Plein de courroux ou plein d’effroi,
Écoute, passant qui soupire,
Écoute, frère, et réponds-moi.
Nul œil, c’est là ce qui t’enflamme,
Ne lit dans ton cœur abattu ;
Nul ami ne connaît ton âme :
       Et toi, la connais-tu ?
 
Il faut posséder pour connaître,
Et pour posséder, contenir ;
L’œil, qui finit ce qu’il pénètre,
Pénètre ce qui doit finir.
Va, frère, ne jette à ce monde
Ni ton blasphème ni ton vœu ;
Ton âme est chose trop profonde :
       Un seul la connaît—Dieu !

Grains de mil (1854)

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