François Coppée

La chaumière incendiée.

Fléau rapide et qui dévore,
La bataille a passé par là,
Et la vieille maison brûla ;
Regardez, cela fume encore.
 
Quelques images d’Épinal,
Un fusil sur la cheminée ;
C’était la chaumière obstinée,
Le vieux logis national.
 
Au seuil rugueux où l’on trébuche,
Il fallait se baisser un peu ;
Mais la soupe était sur le feu
Et le pain était dans la huche.
 
C’était bien sombre et bien petit,
Avec un toit de paille chauve,
Mais abritant sous l’humble alcôve
Un berceau tout près d’un grand lit.
 
L’araignée aux grises dentelles
Habitait le plafond obscur ;
Mais les trous nombreux du vieux mur
Étaient connus des hirondelles.
 
L’été, sur la porte, et l’hiver,
Près du foyer plein de lumière,
Les habitants de la chaumière
Étaient encore heureux hier.
 
C’était l’abri contre l’orage ;
Là, les enfants avaient grandi ;
L’aïeul se chauffait à midi
Sur le banc qu’une treille ombrage.
 
Et l’on parlait naïvement
De choisir une brave fille
Pour le frère de la famille
Qui revenait du régiment.
 
–Maintenant, c’est après la guerre,
Après ces Allemands damnés ;
Et ces pans de murs calcinés
Furent cette maison naguère.
 
L’aïeul aujourd’hui tend la main,
Lui qui, n’étant pourtant pas riche,
Coupait largement dans la miche
Pour tous les pauvres du chemin.
 
L’homme travaille dans les fermes,
Et sa femme et ses deux petits
Pleurent dans un affreux taudis
Dont il ne peut payer les termes...
 
Le frère, soldat inconnu
Qu’on a repris pour la campagne,
Du fond de la froide Allemagne
N’est, hélas ! jamais revenu...
 
–Mais, puisque dans la noble France
Il fut toujours, il reste encor,
Sou, pièce blanche ou louis d’or,
Une obole pour la souffrance,
 
Au nom du douloureux passé,
Donnez tous, donnez tout de suite,
Donnez pour la maison détruite
Et pour le berceau renversé !

Le cahier rouge (1892)

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