Émile Verhaeren

L’orgueil

Non plus parce qu’il vit d’angoisse et de souffrance,
Mais parce qu’à chaque heure il crée une espérance,
L’âpre univers est plein de foi.
Il n’importe que sous les toits,
Dans les demeures,
Quand le jour naît ou qu’il décroît,
Les prières au Christ en croix
Se meurent.
 
Efforts multipliés en tous les lieux du monde,
C’est vous qui recélez les croyances profondes :
Qui risque et qui travaille, croit ;
Qui cherche et qui invente, croit encore ;
Les lumières de chaque aurore
Ressuscitent, fatalement, au fond des coeurs
La confiance en leur ardeur.
 
Désormais c’est l’orgueil qui s’attaque au mystère
Que toujours nous propose et nous cause la terre,
Orgueil jeune et joyeux qui se mue en ferveur
Pour ne jamais se rebuter devant l’obstacle
Et soi-même créer le quotidien miracle
Dont a besoin l’esprit humain.
 
Ô croyance en mon front, en mes yeux, en mes mains,
Croyance en mon cerveau que la recherche enivre,
Croyance en tout mon être ardent, vibrant, dardé,
Comme vous me faites plus sûr et décidé
Dans le danger et la gloire que j’ai
De vivre !
 
Depuis que je me sens
N’être qu’un merveilleux fragment
Du monde en proie aux géantes métamorphoses,
Le bois, le mont, le sol, le vent, l’air et le ciel
Me deviennent plus fraternels
Et je m’aime moi-même en la splendeur des choses.
 
Je m’aime et je m’admire en tel geste vermeil
Que fait un homme à moi pareil
En son passage sur la terre.
Tout comme lui je suis doté
De génie et de volonté
Et ce qu’il fait, je le puis faire.
 
Avec mes deux poumons, je respire l’exploit
Que m’apporte le vent de tous les points du monde.
Est mien, tout penser clair, utile, allègre et droit
Dont j’ai senti l’audace en mon âme profonde.
 
Ainsi
Je communie
Avec toute la vie
Et des choses et des êtres.
Je me prodigue en tout, comme tout me pénètre,
Vice, vertu, mérite ou faute.
Tout mon orgueil s’exerce à bellement souffrir
Et quand il le faudra à fièrement mourir,
Pour n’abaisser jamais ma force intense et haute.

Les flammes hautes (1917)

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