Émile Verhaeren

L’âge est venu

L’âge est venu, pas à pas, jour à jour,
Poser ses mains sur le front nu de notre amour
Et, de ses yeux moins vifs, l’a regardé.
 
Et, dans le beau jardin que Juillet a ridé,
Les fleurs, les bosquets et les feuilles vivantes
Ont laissé choir un peu de leur force fervente
Sur l’étang pâle et sur les chemins doux.
Parfois, le soleil marque, âpre et jaloux,
Une ombre dure, autour de sa lumière.
 
Pourtant, voici toujours les floraisons trémières
Qui persistent à se darder vers leur splendeur,
Et les saisons ont beau peser sur notre vie,
Toutes les racines de nos deux coeurs
Plus que jamais plongent inassouvies,
Et se crispent et s’enfoncent, dans le bonheur.
 
Oh ! ces heures d’après-midi ceintes de roses
Qui s’enlacent autour du temps et se reposent
La joue en fleur et feu, contre son flanc transi !
 
Et rien, rien n’est meilleur que se sentir ainsi,
Heureux et clairs encor, après combien d’années !
Mais si tout autre avait été la destinée
Et que, tous deux, nous eussions dû souffrir,
—Quand même !– oh ! j’eusse aimé vivré et mourir,
Sans me plaindre, d’une amour obstinée.

Les heures d’après-midi (1905)

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