Émile Verhaeren

Cantiques

I.
 
Je voudrais posséder pour dire tes splendeurs,
Le plain-chant triomphal des vagues sur les sables,
Ou les poumons géants des vents intarissables ;
 
Je voudrais dominer les lourds échos grondeurs,
Qui jettent, dans la nuit des paroles étranges,
Pour les faire crier et clamer tes louanges ;
 
Je voudrais que la mer tout entière chantât,
Et comme un poids le monde élevât sa marée,
Pour te dire superbe et te dresser sacrée ;
 
Je voudrais que ton nom dans le ciel éclatât,
Comme un feu voyageur et roulât, d’astre en astre,
Avec des bruits d’orage et des heurts de désastre.
 
II.
 
Les pieds onglés de bronze et les yeux large ouverts,
Comme de grands lézards, buvant l’or des lumières,
Se traînent vers ton corps mes désirs longs et verts.
 
En plein midi torride, aux heures coutumières,
Je t’ai couchée, au bord d’un champ, dans le soleil ;
Auprès, frissonne un coin embrasé de méteil,
 
L’air tient sur nos amours de la chaleur pendue,
L’Escaut s’enfonce au loin comme un chemin d’argent,
Et le ciel lamé d’or allonge l’étendue.
 
Et tu t’étends lascive et géante, insurgeant,
Comme de grands lézards buvant l’or des lumières,
Mes désirs revenus vers leurs ardeurs premières.
 
III.
 
Et mon amour sera le soleil fastueux,
Qui vêtira d’été torride et de paresses
Les versants clairs et nus de ton corps montueux,
 
Il répandra sur toi sa lumière en caresses,
Et les attouchements de ce brasier nouveau
Seront des langues d’or qui lécheront ta peau.
 
Tu seras la beauté du jour, tu seras l’aube
Et la rougeur des soirs tragiques et houleux ;
Tu feras de clartés de splendeurs ta robe,
 
Ta chair sera pareille aux marbres fabuleux,
Qui chantaient, aux déserts, des chansons grandioses,
Quand le matin brûlait leurs blocs, d’apothéoses.
 
IV.
 
Hiératiquement droit sur le monde, Amour !
Grand Dieu, vêtu de rouge en tes splendeurs sacrées,
Vers toi, l’humanité monte comme le jour,
 
Monte comme les vents et comme les marées ;
Nous te magnifions, Amour, Dieu jeune et roux,
Qui casse sur nos fronts tes éclairs de courroux,
 
Mais qui décoche aussi dans le fond de nos moelles,
L’électrique frisson au plaisir éternel,
Et nous te contemplons, sous ton ciel solennel,
 
Où des coeurs mordus d’or flambent au lieu d’étoiles,
Où la lune arrondit son orbe en sein vermeil,
Où la chair de Vénus met des lacs de soleil.

Les bords de la route (1895)

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