Louisa Siefert

LES RÊVES

                                                    I.
                                              IDYLLE.
 
Maintenant sous le ciel tout repose ou tout aime.
Lamartine
 
Sur l’herbe du verger, au pied de la charmille,
Le jeune homme est assis près de la jeune fille.
Chaque étoile à son tour pique le firmament ;
Mille senteurs dans l’air, mille chansons bénies
Unissent leurs parfums, croisent leurs harmonies ;
                         La nuit vient lentement.
 
Les montagnes au sud, par l’ombre atténuées,
Agrafent sur leur sein le manteau de nuées
Dont la splendeur du soir revêt leur nudité ;
Le vent passe embaumé de thym, de menthe & d’ambre,
Et, couronné de fruits, voici venir septembre
                         Aussi doux que l’été.
 
Les ménages charmants des pinsons, des mésanges
Emplissent les rameaux de murmures étranges,
Ivres comme au printemps de leur nouvel amour ;
Et le paysan las, sa bêche sur l’épaule,
Aiguillonne ses bœufs avec sa grande gaule
                         Pour hâter le retour.
 
Au village à présent chaque foyer scintille.
Le jeune homme est assis près de la jeune fille :
En souriant, leurs deux mères les ont laissés ;
Sous le regard de Dieu, seuls, ils restent ensemble.
Lui, le cœur palpitant, la contemple ; elle, tremble
                         Les yeux sur lui fixés.
 
L’obscurité pourtant aux flancs de la montagne
Descend d’un pied furtif & peu à peu les gagne,
Quelques moments encore, ils ne se verront plus ;
Dans le vallon pourtant une vapeur légère
Flotte & s’étend déjà des champs pleins de fougère
                         Aux sapins chevelus.
 
Ils se taisent toujours. Mais derrière eux, sur l’herbe,
Est-ce un jeu de la nuit nonchalante & superbe
Qui rapproche sans cesse & bientôt confondra
Leurs deux ombres en une ? & de ses mains puissantes
Aura joint tout à fait leurs têtes rougissantes
                         Quand la lune viendra ?
 
La nature au repos chante avec indolence
Son éternel poëme.—Ô nature, silence !
Quel que soit ton génie, il est outre-passé ;
Un plus sublime accord nous émeut les entrailles,
Car, ici, le baiser des saintes fiançailles
                         Vers Dieu s’est élancé !
 
Les mères à pas lents sont enfin revenues,
Et les deux amoureux aux âmes ingénues
Sont allés les presser dans leurs bras triomphants :
«—Nous ne formerons plus qu’une même famille,
« Mères, mères, voici votre fils, votre fille,
                         « Bénissez vos enfants ! »
 
 
                                                    II.
                                           INTÉRIEUR.
 
La voix haute et profonde
Qu’au loin jette le monde
Ne parvient pas ici.
Théophile Gautier.
 
La maison est petite & de peu d’apparence,
Le soleil en hiver ne la visite pas
Et du nord ou du sud ne fait point différence.
Le toit d’en face est haut & celui-ci très-bas.
 
Le bonheur seul y brille & réchauffe les âmes.
Il semble, en entrant là, que l’air soit plus léger,
Que les feux au foyer aient de plus claires flammes,
Que le temps ait promis de n’y rien déranger.
 
L’ordre, la propreté, la candeur, l’harmonie,
Des livres & des fleurs, un goût sûr & charmant,
Mais surtout une paix, une paix infinie
Comme dans un tableau hollandais ou flamand.
 
Du seuil jusqu’au salon & jusqu’à la cuisine,
Tout rassérène & plaît. Même on dirait qu’ici
Plats creux & pots ventrus ont plus hautaine mine,
Tant ils sont reluisants contre le mur noirci.
 
Soulevant les rideaux du doigt, elle se penche
Et regarde, malgré qu’on n’y puisse plus voir ;
Dans la pièce voisine elle a, de sa main blanche,
Tout préparé déjà pour le repas du soir.
 
Elle revient souffler les bûches dans les cendres,
Car le vent froid du nord redouble avec la nuit,
Et, sans cesse inventant de petits soins plus tendres,
Retourne sur la rue épier chaque bruit.
 
À la porte soudain elle court & s’empresse
D’aller ouvrir : «—Enfin, ce sont ses pas, c’est lui ! »
Il entre & c’est alors maint propos de tendresse :
«—Oh ! viens vite, mon Dieu ! qu’il est tard aujourd’hui ! »
 
Puis on se met à table & l’on rit & l’on cause
De tout ce qu’on a fait chacun de son côté,
On se répète encore, on redit même chose
Et l’on conte toujours quand on a tout conté.
 
Alors vient la veillée & le couple travaille,
L’un près de l’autre assis ; il écrit, elle coud.
Ils se taisent, à moins qu’en rêvant elle n’aille
À l’oreille, tout bas, lui dire tout à coup :
 
«—Écoute, j’ai pour toi dans l’âme une élégie :
« Tiens, prends-la, je l’ai faite à la chute du jour.
« Toi loin, quoi faire, moi ? je n’ai plus d’énergie
« Si ce n’est pour t’aimer & chanter mon amour ! »
 
Dans le cabinet sombre aux brunes boiseries,
Où la science est jointe à l’art pur, on n’entend
Que le doux bruit de voix des longues causeries,
De celles où le cœur se livre & se détend.
 
Et l’on voit maintenant en lumineuses trames
Les fils des rêves d’or se croiser autour d’eux,
Jusqu’à ce qu’unissant leurs lèvres & leurs âmes,
Vers Dieu le même élan les emporte tous deux !
 
 
                                                    III.
                                          VILLANELLE.
 
Et tant que nous vivrons, nous serons tous les deux.
Alfred de Musset.
 
Ô les charmants nuages roses,
Les jolis prés verts tout mouillés !
Après les vilains mois moroses,
Les petits oiseaux réveillés
S’envolent aux champs dépouillés.
 
Tout là-haut ce n’est que bruits d’ailes,
Rendez-vous, murmures, chansons ;
Aux toits courent les hirondelles,
Tandis que moineaux & pinsons
S’éparpillent dans les buissons.
 
Quittant aussi le coin de l’âtre
Resté désert & rembruni,
Comme tout ce peuple folâtre,
Les hôtes du foyer béni
S’en vont saluer l’infini.
 
Lui devant, elle après, ils viennent
Le long des sentiers dégelés.
Ils passent & tous se souviennent :
La terre où verdissent les blés
Crie aux villages : « Voyez-les ! »
 
Les aubépines sont plus blanches,
Les petits muguets plus nacrés,
Les violettes, les pervenches
Ont des airs plus délibérés
Quand par eux ils sont effleurés.
 
L’enfant sourit à leur présence,
Le paysan leur dit bonjour ;
Car on sait qu’en leur bienfaisance,
Dans tout le pays d’alentour,
Chaque malheureux a son tour.
 
Elle porte, malgré le cercle
Rouge dont son bras est meurtri,
Un très-grand panier à couvercle
Qu’à l’envi, le cœur attendri,
Ils vident, elle & son mari,
 
Quand près des grabats misérables,
Son œil, sur le sien arrêté,
Peut lire en traits inaltérables :
«—Pour toi l’amour, ô ma beauté !
« Pour les autres la charité. »
 
 
                                                    IV.
                                            BERCEUSE.
 
Penchée, elle écoutait dormir l’enfant vermeil.
Victor Hugo.
 
C’est le matin, l’enfant, la paupière mi-close,
Sur le sein maternel paisiblement repose.
«—Chut ! » disait-elle avec un doux air inquiet,
« Tout à l’heure il rêvait sans doute, il souriait
« Même en dormant, & moi, quoique ce soit étrange
« Et bien fou, n’est-ce pas ? j’imagine qu’un ange
« À notre chérubin vient encore parler
« Lorsque nous le voyons rire ou se désoler,
« Sans que nous comprenions ses larmes ou sa joie.
« L’ange, ce grand mystère où la raison se noie,
« Cette voix qui nous parle au nom du Seigneur Dieu,
« La conscience enfin ! lui conte peu à peu
« Tout ce qu’il faut, hélas ! qu’il sache ou qu’il devine
« Pour vivre. La jeune âme innocente & divine
« Au mal se plaint & crie, au bien s’épanouit.
« Quand nous intervenons l’ange s’évanouit,
« L’enfant pleure... Oh ! je vois à ton méchant sourire
« Que tu doutes ; eh bien, les sages ont beau dire
« Aux mère qu’un enfant n’est qu’un homme comme eux,
« Nous autres qui plongeons dans l’avenir brumeux
« Un regard plein d’effroi, d’espérance, de rêve,
« Nous, qui tremblons toujours que tout nous les enlève,
« Nous, vois-tu, nous sentons l’invisible réseau,
« Le lien idéal qui rattache un berceau
« Au paradis. » Le père, à toutes ces chimères,
Répondait seulement : «—Ô les mères ! les mères ! »
Et, se penchant vers elle, ajoutait : «—Bah ! dis-moi
« Tout ce que tu voudras ; mais l’ange ici, c’est toi ! »
 
 
                                                    V.
                                          ENFANTINE.
 
Toujours ces quatre douces fêtes
Riaient...
Victor Hugo.
 
Devant le grand feu vif de sarment qui pétille,
Le père est entouré de toute sa famille :
                         Les grand’mères en cheveux blancs,
Pour qui le rude hiver de la vieillesse austère
Jonche encore de fleurs la route solitaire
                         Qu’elles parcourent à pas lents ;
 
Et puis la jeune femme émue & recueillie,
Qui lève vers le ciel sa prunelle remplie
                         D’un bonheur profond & complet,
Et presse à son sein nu, chaste & fière nourrice,
Son dernier nouveau-né dont l’indolent caprice
                         Laisse fuir les gouttes de lait ;
 
Au milieu, les enfants gracieux & candides
Qui gazouillent, avec de beaux rires splendides,
                         Leurs petites chansons d’oiseaux.
Ils sont là tous les trois, blondes têtes bouclées,
Frais comme le matin sur les vertes feuillées,
                         Doux comme un nid dans les roseaux !
 
Sur le tapis moelleux aux fleurs arborescentes,
Les plus grands à genoux, les lèvres frémissantes,
                         Tendent leurs bras au plus petit.
Faisant plus tendre encor leur voix déjà si douce,
L’un l’appelle, tandis que l’autre qui le pousse
                         Cent fois l’exhorte & l’avertit.
 
Le petit tout ravi, la bouche toute rose
Et tout ouverte, rit : il a bien peur, il n’ose ;
                         De temps en temps il mord ses doigts ;
Quand il semble avancer, il recule au contraire.
« Allons, viens ! » dit la sœur, « Courage ! » dit le frère.
                         Tous deux lui parlent à la fois.
 
Il rit, il a bien peur, il hésite, il chancelle.
La bûche au ventre rouge, à la vive étincelle,
                         Des rideaux pourpre chaque pli ;
L’aïeule a des éclairs sous sa paupière obscure,
Les parents font silence & le poupon murmure
                         On ne sait quoi de très-joli.
 
Le petit tremble, il rit, soudain il se décide,
Et le voici qui vient confiant & timide,
                         Tout craintif & tout enhardi.
Il s’avance d’abord lentement, puis plus vite,
Dans les bras de sa sœur il court, se précipite
                         Et tombe enfin comme étourdi.
 
Un baiser le rassure, il retourne la tête
Et vingt fois il parcourt la route déjà faite
                         Avec de petits cris joyeux.
Et le père rêveur & la mère pensive
Sentaient tous deux alors une larme furtive
                         Monter de leur cœur à leurs yeux.
 
 
                                                    VI.
                                               PRIÈRE.
 
Aimer, c’est la moitié de croire.
Victor Hugo.
 
Les rideaux sont baissés & la porte est fermée :
Un seul rayon perdu glisse furtivement,
Et vient illuminer l’atmosphère embaumée.
 
Là, dans son grand fauteuil la mère simplement,
Tenant sur ses genoux la Bible de famille,
Explique à ses enfants le Nouveau Testament.
 
Son jouet dans les bras, la plus petite fille
Veut écouter aussi le récit merveilleux,
Comme font ses aînés dont le regard scintille.
 
Car il n’est pas de conte entre les contes bleus
Qui vaille cette belle & pathétique histoire,
Où Jésus est si bon pour tous les malheureux.
 
Les autres, qui voudraient graver dans leur mémoire
Chaque verset que lit leur mère à haute voix,
Se penchent, car aimer c’est la moitié de croire.
 
Et, rendus attentifs & graves, tous les trois
Comme un parfum divin aspirent la Parole
Qu’ils trouvent, disent-ils, plus belle chaque fois.
 
Adieu le jeu bruyant & la chanson frivole !
Ils préfèrent le Christ qui parle du devoir
Et met l’enseignement dans une parabole.
 
Sources pures encore où le ciel peut se voir,
Leurs cœurs vierges & neufs, enivrés de lumière,
S’ouvrent avec candeur pour la mieux recevoir.
 
La lecture finie, ils ont fait la prière :
« Amen ! » dit une voix plus grave derrière eux.
C’est leur père debout & baissant la paupière.
 
« Allez, allez, dit-il, mes petits bienheureux,
« Laissez-moi seul auprès de votre bonne mère. »
Et, poussant un soupir profond & douloureux :
 
« Ah ! devant ces enfants je sens mieux ma misère,
« Et combien ma science est peu de chose en soi.
« Je veux connaître aussi la chose nécessaire :
 
« Toi, qui m’apprends l’amour, enseigne-moi la foi ! »
 
 
                                                    VII.
                                       CHANT DE FÊTE.
 
Oh ! moi, je l’entends bien ce monde qui t’admire.
Sainte-Beuve.
 
Il disait : « Pourquoi ce sourire,
« Pourquoi ces yeux prêts à pleurer,
« Pourquoi rester sans me rien dire,
« Et, tout bas, pourquoi soupirer ?
 
« Quel regret des choses passées
« Du jour présent vient émerger ?
« Quelle est celle de tes pensées
« Que je ne dois pas partager ?
 
« Est-ce désir, espoir ou rêve,
« Inquiétude ou souvenir ?
« Souffle de l’aube qui se lève
« Ou de la nuit qui va venir ?
 
« Est-ce au ciel bleu que tu regardes,
« Aux clairs horizons infinis ?
« Ou bien, cher ange qui nous gardes,
« Est-ce au foyer que tu bénis ?
 
« Est-ce tes enfants ou ta mère
« Ou celui qui vit à tes pieds ?
« Quelle envie ou quelle chimère
« Fait tes doux regards tout mouillés ?
 
« Est-ce angoisse ou mélancolie ?
« Ennui, songe vain, vague effroi ?
« Oh ! parle : tristesse ou folie,
« Tu le sais, j’aime tout de toi ! »
 
Mais elle, relevant la tête,
Répondait : « Ne comprends-tu pas ?
« Tout à l’heure, au seuil de la fête
« On s’écartait devant nos pas.
 
« J’entendais un murmure étrange
« Qui s’élevait derrière nous...
« Et c’était un chœur de louange
« Autour du nom de mon époux.
 
« L’un disait l’œuvre de la veille,
« L’autre le bienfait d’aujourd’hui :
« Tous étaient d’accord, ô merveille !
« Et tous s’inclinaient devant lui.
 
« Tandis qu’il allait, l’âme fière
« De mon bras passé sous le sien,
« Ô candeur ! ô vertu première !
« Lui n’entendait, ne voyait rien.
 
« Mais moi, que sa gloire auréole,
« Que l’honneur de son nom grandit,
« Je recueillais chaque parole
« Et j’écoutais tout ce qu’on dit.
 
« Aussi pressé-je avec ivresse
« Dans ma main l’anneau nuptial,
« Immortel gage de tendresse,
« Chaînon du lien idéal ;
 
« Aussi plus que tous admiré-je
« Ces traits lassés & maladifs
« Et ce large front dont la neige
« Couronne les sillons hâtifs ;
 
« Aussi sens-je un dédain extrême
« Pour les biens dont tous sont jaloux ;
« Car j’ai l’amour pour diadème,
« La joie & l’orgueil pour bijoux. »
 
 
                                                    VIII.
                                       SOLEIL COUCHANT.
 
Car ils savent qu’ils vont au rivage éternel.
Sainte-Beuve.
 
Chancelants & courbés sous le poids des années,
Par l’ouragan d’hiver plantes déracinées,
Ils sont vieux tous les deux. L’un près de l’autre assis
Ils écoutent au loin des chansons & des rondes,
Et regardent sauter des fraîches têtes blondes
Sur les grands tas de foin par le soleil roussis.
Les enfants sont en joie & la nature en fête.
Baignés d’ombre à leurs pieds, de rayons à leur faîte,
Les arbres du verger contemplent, eux aussi,
Ces générations nouvellement écloses,
Et calculent tout bas combien de lèvres roses
                         Ils ont entendu rire ainsi.
 
Ah ! le temps s’en va vite en son cours monotone !
Voici bientôt venir le cinquantième automne,
Le jour anniversaire où jadis ces époux
Se sont promis de vivre & de mourir ensemble.
Elle était svelte alors ainsi qu’un jeune tremble,
Lui rieur, éloquent, à la fois fier & doux.
Ils sont seuls maintenant à se donner encore
Les noms de leur jeunesse (ô vieux reflet d’aurore !),
À se remémorer les faits des temps passés,
Disant : « T’en souvient-il ? » ou bien : « Je me rappelle... »
Car tous ceux qu’ils aimaient & que leur voix appelle
                         Se sont peu à peu dispersés.
 
Hélas ! & chaque ride à leur tempe imprimée
Est comme le tombeau d’une mémoire aimée.
Mères, parents, amis, par la mort emportés,
Sont tombés autour d’eux. Comme aux forêts prochaines
Reste parfois debout un seul groupe de chênes
Surgissant au milieu des troncs décapités,
Ou bien comme l’on voit au soir d’une bataille
Deux compagnons, portant au sein plus d’une entaille,
S’appuyer l’un sur l’autre & s’entre-soutenir,
Ils attendent, exempts de crainte & de murmure,
De descendre au caveau que l’Éternité mure
                         Pour le sommeil sans souvenir.
 
Car ils ont maintenant tous les deux conscience,
Elle, par sa tendresse, & lui, par sa science,
D’avoir accompli l’œuvre où Dieu les appelait.
Et les fils de leurs fils, les filles de leurs filles,
Fondant pour le Seigneur de nouvelles familles
Dont les fronts inégaux forment un chapelet
Où la perle sans tache est d’une autre suivie,
S’avancent à leur tour au chemin de la vie.
Les vieux peuvent partir calmes & triomphants :
Leur nom, qu’à cause d’eux toute la contrée aime,
Est porté dignement & le sera de même
                         Par les enfants de leurs enfants.
 
C’est une chose auguste & vraiment solennelle
De voir ces vieillards blancs de la neige éternelle
Garder encor leur doux sourire d’autrefois.
On dirait le rayon de pourpre lumineuse
Que le soleil couchant de l’automne vineuse
Jette aux glaciers sereins sous leurs cieux déjà froids.
L’amour, qui les unit voici cinquante années,
Avec la chaste odeur qu’ont les roses fanées,
S’exhale de leur cœur comme un souffle enchanté ;
Et la foi, qui soutint leurs âmes éprouvées,
Qui raffermit leurs mains vers le Seigneur levées,
                         Les baigne d’immortalité.
 
Graves des maux soufferts & des peines passées,
Confondant leurs regards, leurs soupirs, leurs pensées,
Tels ils sont à présent, tels ils furent toujours.
Leur jeunesse de cœur survit à la tempête
Qui fait trembler leurs pas ou s’incliner leur tête ;
Et si le temps n’a plus que des moments bien courts
À leur prêter encor, comme dans la vallée
D’un feu d’herbes des champs monte une flamme ailée
Qui jette au vent du soir un parfum pour adieu,
Lorsque l’heure viendra de leurs deux agonies,
Ils s’en iront ensemble, âmes toujours unies,
                         Dans la paix des enfants de Dieu !
 
 
Janvier– mars 18...

"Rayons perdus" (1868)

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