Charles Guérin

Il est si tard, il fait, cette nuit de novembre

Il est si tard, il fait, cette nuit de novembre,
Si triste dans mon cœur et si froid dans la chambre
Où je marche d’un pas âpre, le front baissé,
Arrêtant les sanglots sur mes lèvres, poussé
Par les ressorts secrets et rudes de mon âme !
 
La maison dort d’un grand sommeil, l’âtre est sans flamme ;
Sur ma table une cire agonise. Et l’amour,
Qui m’avait, tendre espoir, caressé tout le jour,
L’amour revient, armé de lanières cruelles,
Lacérer l’insensé qu’il berçait dans ses ailes.
 
Ô poète ! peseur de mots, orfèvre vain,
Ton vieil orgueil d’esprit succombe au mal divin !
Tu rejettes ton dur manteau de pierreries,
Et déchirant ton sein de tes ongles, tu cries
Ton immense fureur d’aimer et d’être aimé.
 
Et jusqu’à l’aube, auprès d’un flambeau consumé,
Et promenant ta main incertaine et glacée
A travers les outils qui servaient ta pensée,
Dans le silence noir et nu, pauvre homme amer,
Tu pleures sur ton cœur stérile et sur ta chair.

Le semeur de cendres (1901)

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