Cécile Sauvage

L’enchantement lunaire endormant la vallée.

L’enchantement lunaire endormant la vallée
Et le jour s’éloignant sur la mer nivelée
Comme une barque d’or nombreuse d’avirons,
J’ai rassemblé, d’un mot hâtif, mes agneaux ronds,
Mes brebis et mes boucs devenus taciturnes
Et j’ai pris le chemin des chaumières nocturnes.
Que l’instant était doux dans le tranquille soir !
Sur l’eau des rayons bleus étant venus s’asseoir
Paraissaient des sentiers tracés pour une fée
Et parfois se plissaient d’une ablette apeurée.
Le troupeau me suivait, clocheteur et bêlant.
Je tenais dans mes bras un petit agneau blanc
Qui, n’ayant que trois jours, tremblait sur ses pieds roses
Et restait en arrière à s’étonner des choses.
Le silence était plein d’incertaines rumeurs,
Des guêpes agrafaient encore le sein des fleurs,
Le ciel était lilas comme un velours de pêche.
Des paysans rentraient portant au dos leur bêche
D’argent qui miroitait sous un dernier rayon,
Et des paniers d’osier sentant l’herbe et l’oignon.
Les champs vibraient encore du jeu des sauterelles.
Je marchais. L’agneau gras pesait à mes bras frêles.
Je ne sais quel regret me mit les yeux en pleurs
Ni quel émoi me vint de ce cœur sur mon cœur,
Mais soudain j’ai senti que mon âme était seule.
La lune sur les blés roulait sa belle meule ;
Par un même destin leurs jours étant liés,
Mes brebis cheminaient auprès de leurs béliers ;
Les roses défaillant répandaient leur ceinture
Et l’ombre peu à peu devenait plus obscure.

Tandis que la terre tourne (1910)

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