Anna de Noailles Sauter

L’appel

Priape, dieu clément qui fleuris les vergers,
Je te consacre, afin que tu veuilles m’entendre,
Des bouquets de persil, des feuilles d’orangers
Et la première cosse où gonflent les pois tendres...
 
Toi qui ris aux amants dans le fond des jardins,
Mènes vers moi Daphnis, le chevrier farouche :
Jaloux du cours égal de mes clames destins,
Eros a tendu l’arc meurtrier de sa bouche.
 
Pourquoi ne vient-il pas comme d’autres bergers
Suspendre à ma maison des branches d’hyacinthe ?
Nul avant lui n’aurait d’un caprice léger
Dénoué le ruban dont ma tunique est ceinte.
 
—Daphnis, si tu voulais, sur le chaud de midi
Tu m’aimerais tandis que tes chèvres vont paître,
Je rirais de plaisir sous ton baiser hardi
Et nous boirions ensemble à ma tasse de hêtre.
 
Regarde ! mes pieds nus sont comme deux pigeons
Posés légèrement au bord de mes sandales ;
Mes bras luisants, polis et pareils à des joncs,
Ont la fine senteur des huiles végétales.
 
Vois mes agneaux laiteux : de leurs belles toisons
Nous ferons une couche à nos baisers offerte ;
Nous compterons les mois à l’odeur des saisons,
Au parfum des fruits mûrs et des roses ouvertes.
 
—Ô joueur de syrinx ! quand le soir violet
Endormira tantôt la cigale sonore,
Viens instruire mon cœur au fond du bois muet,
Des mystères charmants que ma jeunesse ignore ;
 
Et demain au matin, par les sentiers mouillés,
Afin d’honorer mieux la nuit initiale,
Nous irons, les bras pleins de bouquets déliés,
Porter à Priapos l’offrande prairiale.

Le cœur innombrable (1901)

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