Théophile Gautier

Sur le Carnaval de Venise III

Carnaval.
 
Venise pour le bal s’habille.
De paillettes tout étoilé,
Scintille, fourmille et babille
Le carnaval bariolé.
 
Arlequin, nègre par son masque,
Serpent par ses mille couleurs,
Rosse d’une note fantasque
Cassandre son souffre-douleurs.
 
Battant de l’aile avec sa manche
Comme un pingouin sur un écueil,
Le blanc Pierrot, par une blanche,
Passe la tête et cligne l’oeil.
 
Le Docteur bolonais rabâche
Avec la basse aux sons traînés ;
Polichinelle, qui se fâche,
Se trouve une croche pour nez.
 
Heurtant Trivelin qui se mouche
Avec un trille extravagant,
A Colombine Scaramouche
Rend son éventail ou son gant.
 
Sur une cadence se glisse
Un domino ne laissant voir
Qu’un malin regard en coulisse
Aux paupières de satin noir.
 
Ah ! fine barbe de dentelle,
Que fait voler un souffle pur,
Cet arpège m’a dit : C’est elle !
Malgré tes réseaux, j’en suis sûr,
 
Et j’ai reconnu, rose et fraîche,
Sous l’affreux profil de carton,
Sa lèvre au fin duvet de pêche,
Et la mouche de son menton.

Émaux et Camées (1852)

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