Théophile Gautier

La montre

Deux fois je regarde ma montre,
Et deux fois à mes yeux distraits
L’aiguille au même endroit se montre ;
Il est une heure... une heure après.
 
La figure de la pendule
En rit dans le salon voisin,
Et le timbre d’argent module
Deux coups vibrant comme un tocsin.
 
Le cadran solaire me raille
En m’indiquant, de son long doigt,
Le chemin que sur la muraille
A fait son ombre qui s’accroît.
 
Le clocher avec ironie
Dit le vrai chiffre et le beffroi,
Reprenant la note finie,
A l’air de se moquer de moi.
 
Tiens ! la petite bête est morte.
Je n’ai pas mis hier encor,
Tant ma rêverie était forte,
Au trou de rubis la clef d’or !
 
Et je ne vois plus, dans sa boîte,
Le fin ressort du balancier
Aller, venir, à gauche, à droite,
Ainsi qu’un papillon d’acier.
 
C’est bien de moi ! Quand je chevauche
L’Hippogriffe, au pays du Bleu,
Mon corps sans âme se débauche,
Et s’en va comme il plaît à Dieu !
 
L’éternité poursuit son cercle
Autour de ce cadran muet,
Et le temps, l’oreille au couvercle,
Cherche ce coeur qui remuait ;
 
Ce coeur que l’enfant croit en vie,
Et dont chaque pulsation
Dans notre poitrine est suivie
D’une égale vibration,
 
Il ne bat plus, mais son grand frère
Toujours palpite à mon côté.
—Celui que rien ne peut distraire,
Quand je dormais, l’a remonté !

Émaux et Camées (1852)

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