Jean Aicard

Dans le golfe.

La nuit tranquille avait des chuchotements faibles,
Sortant des tamarins, des myrtes et des hièbles,
Souffles d’oiseaux dormant parmi les rameaux verts,
Ou bruit doux des bourgeons tout à coup entr’ouverts ;
Cela se mariait au rythme sur la grève
De la mer qui respire en dormant et qui rêve.
La vie étant partout, nul silence complet.
Sous l’haleine des nuits comme l’arbre tremblait,
Ainsi je frémissais au moindre soupir d’elle.
Des phalènes errants frôlaient parfois de l’aile
Ses cheveux d’un bleu noir comme l’azur des nuits.
Des sommeils de parfums se berçaient dans les bruits.
 
Une planche était là, fragile promontoire
S’avançant au-dessus de l’eau bleuâtre et noire,
Pont sans issue au bout duquel était lié,
Sans gouvernail ni rame, un bateau, fin voilier.
 
« Ne fuyons pas au gré du vent, comme nos âmes
Qui naviguent au loin sans gouvernail ni rames,
Dans de grandes douleurs sans fond comme les mers,
Dit-elle ; gardons-nous des flots, menteurs amers. »
 
Sous l’horizon pâli se devinait la lune.
Nous étions au-dessus de l’eau moirée et brune,
Les pieds pendants, assis sur la planche, rêvant.
Nous sentions s’en aller nos désirs dans le vent
Qui nous faisait un lent message de caresses
Et qui nous chuchotait nos plus vagues tendresses.
Vent, livre-lui l’odeur chère de mes cheveux ;
« Je te donne, vent pur, mes plus secrets aveux ;
A son cœur attentif portes-en quelque chose,
Songeait-elle,... dis-lui tout ce que moi je n’ose ! »
 
Et je pensais : « O vent, tu viens de te poser
Sur ses lèvres avec la saveur d’un baiser :
Invisible lien, tu réunis nos bouches,
Souffle léger, ô vent heureux puisque tu touches
Ses lèvres, où frémit la pudeur de l’aveu ! »
 
Tels nous rêvions, tremblants, sous le sombre ciel bleu.
Au flanc sourd du bateau sans gouvernail ni rames,
Charmeresse, la mer brisait en lentes lames.
Nous regardions les flots flexibles et polis
Qui berçaient le bateau dans un calme roulis.
Tels nous sentions la paix et le trouble du monde :
A nos pieds, le remous insensible de l’onde ;
Mais là-bas, grande mer, sous le vent incertain,
Tes plaintes d’âme autour de quelque écueil lointain !

Les Poèmes de Provence (1874)

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