Inutile, donc, de se demander, en regardant les dessins de Topor : mais où va-t-il chercher tout ça !
Tous les « menus incidents » arrivant à ses lointains prochains, ses semblables et surtout ses dissemblables, s’il les décrit avec une telle précision, c’est sans nul doute l’humour de Dieu qui l’inspire.
C’est pourquoi il sait discerner le malicieux clin d’œil divin dans la tombe de Caïn, tout aussi bien que le sourire en coin du Grand Humoriste dans l’incendie du Bazar de la Foi, de l’Espérance et de la Charité, comme dans celui du Reichstag.
Et le même sourire secret devant le Massacre des Innocents, les Dragonnades, l’exécution de Sacco et Van-zetti, ou les joyeuses fusillades préludant aux somptueux Jeux olympiques de Mexico.
De même, il réalise fort bien que si les forteresses volantes ne sont pas châteaux en Espagne, c’est pour les meilleures, les plus divertissantes raisons du monde, et que les bombes à ailettes, les grenades à billes, ne sont que de facétieux et inoffensifs gadgets. Éventrés, les enfants du Vietnam, mourant de faim, ceux du Biafra, même s’ils ne sont pas prédestinés, disparaissent en pleine euphorie, le sourire aux lèvres, sachant bien que tout ça n’est pas sérieux, que c’est à mourir de rire.
Les dessins de Topor sont les dessins de la Providence, et plus tard, nos petits enfants de la Patrie, s’il en reste, ne devront pas se montrer surpris s’il leur arrive, en consultant, au Catéchisme, la nomenclature du Calendrier des Bienheureux, d’y trouver Saint Topor aux côtés de Sainte Opportune.
A moins que d’ici là il ne tourne mal et passe à l’ennemi du Bien, Satan, l’ennemi crochu que ma petite fille, il y a des années, appelait irrévérenpieusement Merdezuth. Ce n’est pas à souhaiter, mais on frémit en pensant qu’il suffirait peut-être d’un mouvement de mauvais humour. Comme chacun sait ce que tout le monde ignore, Dieu est autodidacte mais néanmoins grand polygraphe et non moins grand autobiographe. Se proclamant auteur du Monde, un grand ouvrage, il prétend s’en réserver tous les droits, mais sous la table des matières, Diable se cache et la fait tourner à l’envers. Alors, si par malheur il venait à Topor l’idée maléfique d’orner ce livre inestimable de graffiti bêtes et méchants plus question pour lui de canonisation.
Maudit, il redeviendrait semblable à lui-même, comme l’enfant solitaire évoqué par Samuel Beckett dans « Fin de Partie ».
« Puis parler, vite, des mots, comme l’enfant solitaire qui se met à plusieurs, deux, trois, pour être ensemble, et parler ensemble, dans la nuit. »