Le monde était grand ouvert, par la vitre baissée qui encourageait les lucioles dans les estives de tes cheveux défaits. Au bout de tes cils, le temps se balançait comme un enfant étourdi, les bras tout pleins de silence.
Tu avais garé notre voiture au bord du ciel ; il ronronnait doucement au-dessus de nous et cela t’amusait. J’aurais voulu l’éveiller, en lui chatouillant le nez ou en lui soufflant sur les pieds, pour que de sa main pluvieuse il nous hisse sur la lente vague de son épaule. De là-haut, j’aurais pu te montrer tous ces baisers que je nous ai rêvés, toutes ces regards liquides et ces étreintes épaisses comme des tropiques. Mais malgré mes prières, le ciel n’a pas fait mine de s’agiter sous ses draps percés, et en vain j’ai espéré voir s’allumer la nuit rampant autour de nous. Alors pour te dire mon amour il m’a fallu ouvrir les lèvres.
J’ai parlé longtemps. Mon souffle plaquait sur mon visage un aveuglement poisseux. Ma chemise dégoulinait de tout ce romantisme que je pleuvais pour toi. Et mes mots allaient tresser des guirlandes humides sous tes iris que j’aurais voulu boire.
Tandis qu’une averse nocturne tapissait d’automne la campagne toute ouïe, je t’ai dit que je voulais brûler pour toi jusqu’à ce que les étoiles me confondent avec le soleil, que je voulais t’embrasser avec l’obstination insensée d’un flocon de neige en plein été.
Quand enfin, harassée, ma langue s’est roulée pour te laisser me répondre, tu as versé entre nous un peu de ta tristesse. Je me suis approché de toi mais tu as tourné la tête, et ta main s’est réfugiée dans le sillon de ta bouche effrayée.
Alors le monde s’est fermé avec fracas, comme une porte qu’un courant d’air surprend. Ta tête est revenue à moi, la pluie est remontée dans son nuage, et la larme que tu m’avais accordée sous ta paupière à jamais close. J’ai parlé à reculons. Le vent à brossé la nuque des forêts à rebrousse-poil. Les fleuves se sont mis à couler à rebours et les sources à ravaler l’océan. Le soleil s’est levé à l’ouest avec un crépuscule effaré, et notre voiture est redescendue sur la Terre. Mes bras t’ont renvoyée à la porte que tant de fois j’ai usée de mon regard, et tu es rentrée chez toi en me souhaitant bonjour. Je suis resté ballant et j’ai laissé derrière moi l’heure du rendez-vous.
J’ai replongé tête baissée dans l’impatience de ces mois dont déjà j’ai épluché les moindres recoins, rongeant les ongles de ton absence trop envahissante. Les jours ont filé à contre-courant, sur les rides et la poussière qui ont pris leurs jambes à leur cou pour un ailleurs que nul ne sait. Les oisillons ont scellé leur coquille sur leur crâne chauve. Les frondaisons rousses se sont travesties en bourgeons. C’est la débandade du temps qui revient sur ses pas. C’est le grand vertige d’un monde que tu as condamné. Les heures titubent et bientôt s’affaleront au berceau.
À présent je suis là et je ne te connais pas encore. Je t’ai croisé demain soir et tu as disparue dans l’avenue vide. Tu as glissé hors de ma vie sans un bruit, tes talons effleurant à peine le trottoir où je m’étais assis pour laisser passer la pluie.
Désormais toutes mes amours d’adolescent poursuivront ton souvenir. Désormais tu auras la voix de ma mère et le parfum de mon père. Désormais mes pastels et mes crayons gribouilleront ton visage sur tous les murs de ma chambre. Tu seras le secret sous mes boucles d’or. Et quand viendra le moment de regagner la petite pièce blanche et puis la petite pièce sombre, mon dernier cri sera ton nom. Je te hurlerai jusqu’à ce que mes poumons se claquemurent à jamais.