Antoine-Vincent Arnault

Les dieux jouant au colin-maillard

                       Fable IV, Livre II.
 
 
Dans l’Olympe on s’ennuie.—Y pensez-vous, grands Dieux !
—Oui, Messieurs ; oui, j’y pense, et je veux le redire :
Dans l’Olympe on s’ennuie, ainsi qu’en d’autres lieux
             Qui souffrent peu le mot pour rire.
Dieux d’en-haut, Dieux d’en-bas, vous jetez quelquefois
Des regards envieux sur la fange où nous sommes.
Il est beau d’être dieux, il est bon d’être rois ;
             Mais il est doux parfois d’être hommes.
             Jupiter le pensait ainsi ;
             Un soir, libre de tout souci,
Voulant se divertir sans user son tonnerre,
Or ça, dit-il aux Dieux, amusons-nous ici
             Comme on s’amuse sur la terre.
Momus, un jeu bien gai !—Bien gai ! dit l’égrillard,
Qui des jeux dans sa tête a tout le répertoire ;
Jouons un jeu d’enfants ; si vous voulez m’en croire,
             Nous ferons un Colin-Maillard.
             En quatre mois, il fait connaître
             Le jeu terrestre à la céleste cour ;
Comment on prend, comment on est pris tour à tour.
Junon prête un mouchoir : c’est au plus jeune à l’être ;
             Le plus jeune c’était l’Amour,
             L’enfant, qui déjà n’y voit goutte,
             Un bandeau de plus sur les yeux,
Va d’un côté, de l’autre ; et les éclats joyeux
De l’Olympe étonné font retentir la voûte.
Les Dieux, qui riaient fort, comptaient rire encor plus,
Quand notre espiègle eut mis la main sur la Justice.
Cet autre aveugle au jeu n’entendra pas malice ;
Elle est là pour longtemps disait surtout Momus.
             Il se trompait. Elle entre en lice,
Et, dès le premier pas, elle attrapa Plutus.
             Celui-là devait-il s’attendre
             À jamais sortir d’embarras ?
Il est quelque peu lourd Venus, tu m’apprendras
             Comment il a fait pour te prendre.

Fables, Livre II (1812)

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