Victor Hugo

Parfois, je me sens pris d’horreur

Parfois, je me sens pris d’horreur pour cette terre ;
Mon vers semble la bouche ouverte d’un cratère ;
               J’ai le farouche émoi
Que donne l’ouragan monstrueux au grand arbre ;
Mon cœur prend feu ; je sens tout ce que j’ai de marbre
               Devenir lave en moi ;
 
Quoi ! rien de vrai ! le scribe a pour appui le reître ;
Toutes les robes, juge et vierge, femme et prêtre,
               Mentent ou mentiront ;
Le dogme boit du sang, l’autel bénit le crime ;
Toutes les vérités, groupe triste et sublime,
               Ont la rougeur au front ;
 
La sinistre lueur des rois est sur nos têtes ;
Le temple est plein d’enfer ; la clarté de nos fêtes
               Obscurcit le ciel bleu ;
L’âme a le penchement d’un navire qui sombre ;
Et les religions, à tâtons, ont dans l’ombre
               Pris le démon pour Dieu !
 
Oh ! qui me donnera des paroles terribles ?
Oh ! je déchirerai ces chartes et ces bibles,
               Ces codes, ces korans !
Je pousserai le cri profond des catastrophes ;
Et je vous saisirai, sophistes, dans mes strophes,
               Dans mes ongles, tyrans.
 
Ainsi, frémissant, pâle, indigné, je bouillonne ;
On ne sait quel essaim d’aigles noirs tourbillonne
               Dans mon ciel embrasé ;
Deuil ! guerre ! une euménide en mon âme est éclose !
Quoi ! le mal est partout ! Je regarde une rose
               Et je suis apaisé.

L’art d’être grand-père (1877)

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