Puisse le Dieu vivant dessécher la paupière
À qui m’a mise là vivante sous la pierre,
Et, comme un enfant porte un manteau de velours,
M’a forcée à porter ces édifices lourds,
Ces vieux murs en haillons, ces maisons condamnées,
Dont le gouffre est si plein de choses et d’années
Que je me sentirais moins de crispations
À tenir sur mon dos les Tyrs et les Sions
Que laissa choir le monde aux deux bras atlastiques,
Ou bien à soulever les vagues élastiques
Sommeillant à demi dans les noirs Océans
Comme dans son désert le troupeau des géants !
Si bien que mieux vaudrait sous la blonde phalange
Tomber, comme Jacob dans sa lutte avec l’ange,
Ou soutenir du front avec les yeux ouverts
Gœthe, dont la pensée était un univers !
Oh ! si le feu divin qui brûla les Sodomes,
Fait palpiter un jour ces pierres et ces dômes,
Ces clochetons à dents, ces larges escaliers
Que dans l’ombre une main gigantesque a liés,
Ces monolithes noirs qui n’ont fait qu’une rampe,
Ces monstres vomissants dont la cohorte rampe
De la fondation jusqu’à l’entablement,
Ces granits attachés impérissablement ;
Si ce monde sur eux se déchire et s’écroule
Sous le souffle embrasé de ce simoun que roule
Sans pitié l’ouragan des révolutions
Sur les peuples trop pleins de leurs pollutions ;
Si, dégageant alors son bras et sa mamelle
Du vieux mur qui gémit et qui souffre comme elle,
Ma colère à son tour peut jeter sur leur dos
Une expiation et choisir les fardeaux,
Je mettrai ce jour-là sur l’épaule des hommes,
Au lieu des monuments, tombeaux sous qui nous sommes,
Au lieu des clochetons et des granits quittés
Le poids intérieur de leurs iniquités !