Théodore de Banville

La chanson du vin.

Parmi les gazons
Tout en floraisons
Dessous les treilles,
J’écoute sans fin
La chanson du Vin
Dans les bouteilles.
 
L’Ode à l’Idéal
Au fond du cristal
Coule embaumée.
La strophe bruit,
Et, limpide, suit
Sa sœur charmée.
 
Les nectars vermeils
Chantent les soleils
De la jeunesse,
Et tous les retours
Qui font nos amours
Pleins de tristesse ;
 
Et le dieu cornu,
Le beau guerrier nu,
Dans les mêlées,
Qui guide en rêvant
Des femmes au vent
Échevelées ;
 
Le dieu des pressoirs
Qui, sous les pins noirs
Du mont Ménale,
Fait, pendant la nuit,
Courir à grand bruit
La bacchanale !
 
Et le tambourin
Des vierges sans frein
Dans leurs querelles,
Qui, loin des regards,
Dans les bois épars
S’aiment entre elles ;
 
Et le chœur dansant
Qui, rouge, et versant
Dans son délire
Le sang et le vin,
Brise le devin
Avec sa lyre !
 
Le Nectar nous dit :
Ô vous qu’engourdit
La Poésie,
Plus de vains sanglots !
Buvez à mes flots
La fantaisie.
 
Ne réservez plus
Vos vœux superflus
Et vos tendresses
Pour les impudeurs
Et pour les froideurs
De vos maîtresses.
 
Nos claires prisons
Montrent aux raisons
Évanouies
L’âme des couleurs,
Du rhythme et des fleurs
Épanouies !
 
Nos secrets plaisirs,
Nés dans les loisirs,
Ont à s’accroître,
Pour les sens domptés
Plus de voluptés
Que ceux du cloître.
 
Mais fuis, jeune élu,
Le bois chevelu,
Le flot rapide
Et l’antre secret
Où te rencontrait
L’Aganippide !
 
Le thyrse est levé.
Dans le lieu trouvé
Pour les mystères,
Hurlent de fureur
Les vierges en chœur
Et les panthères.
 
Privé de tombeaux,
L’impie en lambeaux
Meurt comme Orphée.
Dans l’onde à la fois
Sa lyre et sa voix
Pleure étouffée,
 
Tandis qu’au lointain
Bondit, le matin,
Toute rougie,
En vociférant
Sur l’indifférent,
La sainte Orgie !

Les Stalactites (1846)

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