Théodore de Banville

À Sainte-Beuve.

À la porte d’un beau château
Bâti pendant la Renaissance,
Une dame au riche manteau,
Les cheveux baignés d’une essence
Divine, rit au vert coteau.
 
Elle a l’œil superbe et moqueur ;
Ses sourcils noirs aux courbes jointes
Enivrent comme une liqueur,
Et des rayons baisent les pointes
Folâtres de sa bouche en cœur.
 
Elle montre l’un de ses seins
Nu. Plus souple qu’une liane,
Cette Nymphe, heureuse aux larcins,
A pris les armes de Diane
Qui lui servent pour ses desseins.
 
Son arc est d’un bois lisse et dur,
Et ses flèches bien aiguisées,
Cachant leurs pointes d’acier pur
Sous la dorure déguisées,
Sonnent dans le carquois d’azur.
 
Quand sa tresse inonde son cou,
(Bien que cette amante farouche
Vous plante là pour un bijou,)
Pour les morsures de sa bouche
On se résigne à mourir fou.
 
Cette chasseresse d’Amours
Dont il faut, même au prix d’un crime,
Idolâtrer les fiers atours
Et les belles mains, c’est la Rime,
Délice et tourment de nos jours.
 
Quel bonheur, d’orner ses appas
De joyaux ! Au bois qu’avril dore,
Quel bonheur de baiser ses pas !
Quand on l’a connue, on l’adore
Pour jamais, et jusqu’au trépas.
 
Oh ! pour moi, rien n’éclipsera
Sa lèvre indignée et rieuse !
Sa voix seule me bercera
Et mon sang tout entier sera
Bu par cette victorieuse.
 
Car, s’il faut la fuir, quel tourment !
Loin de son regard comme on jeûne !
Ce que vaut ce clair diamant
Tu le sais bien, toi qui, tout jeune,
As été son plus cher amant !

Odelettes (1856)

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