Théodore Agrippa d'Aubigné

Quiconque sur les os des tombeaux effroyables

Stance XIX.

 
Quiconque sur les os des tombeaux effroyables
Verra le triste amant, les restes misérables
D’un coeur séché d’amour, et l’immobile corps
Qui par son âme morte est mis entre les morts,
 
Qu’il déplore le sort d’une âme à soi contraire,
Qui pour un autre corps à son corps adversaire
Me laisse examiné sans vie et sans mourir,
Me fait aux noirs tombeaux après elle courir.
 
Démons qui fréquentez des sépulcres la lame,
Aidez-moi, dites-moi nouvelles de mon âme,
Ou montrez-moi les os qu’elle suit adorant
De la morte amitié qui n’est morte en mourant.
 
Diane, où sont les traits de cette belle face ?
Pourquoi mon oeil ne voit comme il voyait ta grâce,
Ou pourquoi l’oeil de l’âme, et plus vif et plus fort,
Te voit et n’a voulu se mourir en ta mort ?
 
Elle n’est plus ici, ô mon âme aveuglée,
Le corps vola au ciel quand l’âme y est allée ;
Mon coeur, mon sang, mes yeux, verraient entre les morts
Son coeur, son sang, ses yeux, si c’était là son corps.
 
Si tu brûle à jamais d’une éternelle flamme,
A jamais je serai un corps sans toi, mon âme,
Les tombeaux me verront effrayé de mes cris,
Compagnons amoureux des amoureux esprits.
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