Théodore Agrippa d'Aubigné

Complainte à sa dame

Ne lisez pas ces vers, si mieux vous n’aimez lire
Les escrits de mon coeur, les feux de mon martyre :
Non, ne les lisez pas, mais regardez aux Cieux,
Voyez comme ils ont joint leurs larmes à mes larmes,
Oyez comme les vents pour moy levent les armes,
A ce sacré papier ne refusez vos yeux.
 
Boute-feux dont l’ardeur incessamment me tuë,
Plus n’est ma triste voix digne if estre entenduë :
Amours, venez crier de vos piteuses voix
Ô amours esperdus, causes de ma folie,
Ô enfans insensés, prodigues de ma vie,
Tordez vos petits bras, mordez vos petits doigts.
 
Vous accusez mon feu, vous en estes l’amorce,
Vous m’accusez d’effort, et je n’ay point de force,
Vous vous plaignez de moy, et de vous je me plains,
Vous accusez la main, et le coeur luy commande,
L’amour plus grand au coeur, et vous encor plus grande,
Commandez à l’amour, et au coeur et aux mains.
 
Mon peché fut la cause, et non pas l’entreprendre ;
Vaincu, j’ay voulu vaincre, et pris j’ay voulu prendre.
Telle fut la fureur de Scevole Romain :
Il mit la main au feu qui faillit à l’ouvrage,
Brave en son desespoir, et plus brave en sa rage,
Brusloit bien plus son coeur qu’il ne brusloit sa main.
 
Mon coeur a trop voulu, ô superbe entreprise,
Ma bouche d’un baiser à la vostre s’est prise,
Ma main a bien osé toucher à vostre sein,
Qu’eust –il après laissé ce grand coeur d’entreprendre,
Ma bouche vouloit l’ame à vostre bouche rendre,
Ma main sechoit mon coeur au lieu de vostre sein.
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