Rémy Belleau

Le désir

Celuy n’est pas heureux qui n’a ce qu’il desire,
Mais bien-heureux celuy qui ne desire pas
Ce qu’il n’a point : l’un sert de gracieux appas
Pour le contentement, et l’autre est un martyre.
 
Desirer est tourment qui bruslant nous altere
Et met en passion ; donc ne desirer rien
Hors de nostre pouvoir, vivre content du sien
Ores qu’il fust petit, c’est fortune prospere.
 
Le Desir d’en avoir pousse la nef en proye
Du corsaire, des flots, des roches et des vents
Le Desir importun aux petits d’estre grands,
Hors du commun sentier bien souvent les dévoye.
 
L’un poussé de l’honneur par flateuse industrie
Desire ambitieux sa fortune avancer ;
L’autre se voyant pauvre à fin d’en amasser
Trahist son Dieu, son Roy, son sang et sa patrie.
 
L’un pippé du Desir, seulement pour l’envie
Qu’il a de se gorger de quelque faux plaisir,
Enfin ne gaigne rien qu’un fascheux desplaisir,
Perdant son heur, son temps, et bien souvent la vie.
 
L’un pour se faire grand et redorer l’image
A sa triste fortune, espoind de ceste ardeur,
Souspire apres un vent qui le plonge en erreur,
Car le Desir n’est rien qu’un perilleux orage.
 
L’autre esclave d’Amour, desirant l’avantage
Qu’on espere en tirer, n’embrassant que le vent,
Loyer de ses travaux, est payé bien souvent
D’un refus, d’un dédain et d’un mauvais visage.
 
L’un plein d’ambition, desireux de parestre
Favori de son Roy, recherchant son bonheur,
Avançant sa fortune, avance son malheur,
Pour avoir trop sondé le secret de son maistre.
 
Desirer est un mal, qui vain nous ensorcelle ;
C’est heur que de jouir, et non pas d’esperer :
Embrasser l’incertain, et tousjours desirer
Est une passion qui nous met en cervelle.
 
Bref le Desir n’est rien qu’ombre et que pur mensonge,
Qui travaille nos sens d’un charme ambitieux,
Nous déguisant le faux pour le vray, qui nos yeux
Va trompant tout ainsi que l’image d’un songe.

Petites inventions (1557)

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