Nérée Beauchemin

Mirages

Dans le repli d’une anse fraîche
Où tremble le moelleux reflet
D’un clair ciel rose et violet,
Sommeille le bateau de pêche.
 
Sur l’eau qui s’est agatisée,
Dès le jour, encore endormi,
Un vent léger souffle à demi
Par brève et rythmique risée.
 
Mais la vague au large moutonne.
Et dans les échos réveillés
Poulent déjà les sons mouillés
D’un lourd clapotis monotone.
 
Enlaçant la coque de chêne,
Les flots aux douceurs de velours
Montent, montent, montent toujours.
Le bateau tire sur sa chaîne.
 
Il semble que le flot attire
La barque, et qu’un doux souffle d’air
La pousse vers la belle mer
Qui soupire, chante, et soupire.
 
On croit entendre sur les ondes
Des appels pareils aux appels
Qui viennent des verts archipels
Où chantent les sirènes blondes.
 
Au large fleurissent les îles.
Là-bas, sous des ciels toujours beaux,
Bleuit le golfe où les vaisseaux
Vont sur des flots toujours tranquilles.
 
Dès longtemps un rêve me hante :
Je veux, au risque d’y mourir,
Au hasard des vagues courir
La mer périlleuse et tentante.
 
Des voix qui viennent de la grève
M’ont dit que les vents sont mauvais.
Je n’écoute rien. Je m’en vais,
Bercé par les rythmes du rêve.
 
Dussé-je faire mille lieues
Il faut que j’atteigne ces bords
Qui palpitent aux frais accords
Des chimères roses et bleues.
 
J’irai, suivant ma fantaisie,
Boire aux ruisseaux harmonieux
Où croît, aux caresses des cieux,
La fleur d’or de la poésie.
 
J’ai pour étoile, l’Art antique,
Le Beau, ce pôle dont l’aimant
Nous attire éternellement
Et j’ai l’espoir pour viatique.

Les floraisons matutinales (1897)

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