Nérée Beauchemin

Le ber

La campagne, comme autrefois,
Avec le bahut, et le coffre,
Et l’armoire à vitrail, nous offre
Le ber à quenouilles de bois.
 
Dans le coeur d’un merisier rouge,
L’aïeul a taillé les morceaux ;
Et la courbe des longs berceaux
Illustre la naïve gouge.
 
Que la mère y couche un garçon,
Ou qu’une mioche y respire,
L’orgueil n’y voit que le sourire
Et la vigueur du nourrisson.
 
Sur la paille de ce lit fruste,
Les marmots auront un sommeil
Qui, tels l’air pur et le soleil,
Rend plus beau, plus frais, plus robuste.
 
Aux angles du salon fermé,
Le mobilier poudreux se fane,
Mais dans l’alcôve paysanne,
Le ber ancien n’a pas chômé.
 
Ce qu’il berce avec tant de joie,
Berce et berce, bon an, mal an,
Dans son bâti tout brimbalant,
C’est l’être que le ciel envoie.
 
C’est l’enfant de l’humble maison,
Nourri par la terre féconde
Où toute bonne graine abonde,
Et tout fructifie à foison.
 
Près du lit funèbre où l’ancêtre,
Le Christ aux doigts, fut exposé,
Au coeur du dernier baptisé,
Le vieux coeur français va renaître.
 
Et le toit natal, chaque jour,
Bénit la race triomphante
Dont la suite immortelle enfante
La vertu, la force, l’amour.

Patrie intime (1928)

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